Iskmiar - I

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Quelques semaines après notre installation à Gnafis City, un Sarkaï vient nous voir pour nous annoncer que la grande bataille annuelle entre Siisks et Gnafis aura lieu dans quinze jours, et que nous y sommes conviés tous trois. Au cours de la discussion qui s'ensuit, nous éclaircissons un certain nombre de détails sur la vie quotidienne des Gnafis qui nous interpellent :

- la naissance des Gnafis a lieu dans un lieu secret, la "chambre des naissances", par un procédé divin ignoré de tous à l'exception du Sar-Ankaï ;
- à leur mort, ils se décomposent très vite et retournent à la matière originale en moins de deux heures.

Dans la semaine qui précède la grande bataille, alors que tous les Ankaï disparaissent pour entrer en communion avec Anku, nous profitons du répit qui nous est laissé pour nous promener et fureter un peu partout. C'est ainsi qu'en fouinant dans la bibliothèque personnelle du Sar-Ankaï, nous découvrons l'existence d'une prophétie qui annonce la venue de trois hommes qui combattront aux côtés des Gnafis et des Sarkaï, et qui assureront par leur présence la victoire à la cîte des dômes gris. Un autre document fait état de l'existence d'êtres semi-intelligents, des hommes, dans la partie nord de ce monde.

Deux jours avant le début de ces opérations guerrières, alors que nous nous promenons tranquillement en ville, un Gnafis à l'expression affolée se jette sur nous en implorant du regard notre protection. Sans la moindre hésitation, Lénaël le cache sous sa grande cape et, comme un petit groupe de sarkaï s'approche, disparait promptement, le temps de glisser un petit mot à l'anneau qu'il porte au doigt. Lothar en fait de même et entre immédiatement en contact télépathique avec lui. Et c'est sur le malheureux Ternibel se retrouvant seul que se ruent les Sarkaï, qui l'arrêtent et l'emmènent sur le champ.

Pendant que Lénaël reste avec le pauvre Gnafis pour essayer de le calmer et d'en tirer quelque information, Lothar suit le groupe jusque dans les appartements du Sar-Ankaï. Et là, première surprise, ce dernier n'est pas une personne, mais plutôt une assemblée formée de tous les Sarkaï et tous les Ankaï. Alors que l'idée d'une énorme supercherie et d'une manipulation à la même échelle émerge en nous, Ternibel est emmené dans nos appartements pour servir d'appât, attaché pieds et poings, et mis sous bonne garde. Lothar, toujours caché aux yeux de tous, le contacte discrètement et l'aide à se libérer en coupant ses liens. A peine cela est-il fait, que Ternibel disparait instantannément, déclenchant une véritable panique parmi les gardes, pendant qu'il s'enfuit avec Lothar.

Un peu plus tard, alors qu'une agitation certaine règne encore dans nos appartements, nous nous introduisons délicatement, et surtout invisiblement, dans la place, pour récupérer nos paquetages respectifs avant de quitter ce lieu malodorant, et en ressortons sans avoir attiré l'attention sur nous. Une fois à l'extérieur, nous nous dirigeons accompagnés de notre Gnafis vers la périphérie de la cîté jusqu'à atteindre la paroi du dôme, paroi dans laquelle Ternibel fait un joli trou qui nous permet de sortir, toujours invisibles, et d'abandonner à leur triste sort Gnafis, Sarkaï et Ankaï.

Nous faisons alors route vers le nord, avec l'espoir que les êtres semi-intelligents que les textes de la bibliothèque du Sar-Ankaï citent sont bien des humains au sens où nous l'entendons. Au nord, les montagnes bleues dont nous sommes descendus en arrivant sur ce monde commencent à luir de mille feux alors que le soir descend.

Un soir, après quelques journées de route, trois créatures simiesques de taille humaine et au corps couverts de poils nous attaquent au campement. Etant sur nos gardes, elles n'arrivent pas à nous surprendre, et une seule, en s'enfuyant, obtiendra la vie sauve, pendant que les deux autres se font hacher menu par Lénaël et Lothar.

Quelques jours plus tard, alors que nous traversons les montagnes bleues, nous n'avons pas la même chance : en pleine nuit, pendant le tour de garde de Lothar, et sans qu'il n'ait rien entendu venir, une énorme massue de pierre s'abat par derrière sur son épaule, la fracassant et rendant son bras gauche totalement inutilisable. En se battant péniblement avec son bras valide, Lothar arrive à retenir la créature manipulant cet objet de destruction - une espèce de gorille de taille plus que respectable et de corpulence non moins impressionnante - jusqu'à ce que Lénaël, éveillé par les cris et le bruit des armes, intervienne en sa faveur et règle son compte à cet agresseur nocturne.

Une fois tout le monde réveillé, nous préferons repartir sur le champ plutôt que de finir notre nuit sur place, par crainte de la poursuite des Sarkaï qui, avec leurs bêtes de monte, sont plus rapides que nous.

Au cours de la journée qui suit, alors que nous laissons les montagnes bleues derrière nous, et que nous faisons route vers une forêt, nos craintes d'être poursuivis se font de plus en plus précises, et nous forçons l'allure autant que possible, jusqu'à établir le campement à l'orée de la forêt lorsque le soir tombe. Des bruits de branches qui craquent attirent notre attention, et, instantannément, nous disparaissons tous de la vue d'éventuels yeux indiscrets, Lénaël prêt au combat s'avançant vers l'origine du bruit, Ternibel paré à jeter quelques sorts appropriés, et Lothar surveillant les choses d'un peu plus haut. Nous découvrons alors une troupe d'hommes en armes, tapis dans les bosquets de la forêt naissante, qui cherchent désespérement à nous repérer.

C'est Lénaël qui fait le premier pas. Se glissant derrière celui qui semble, de par les armoiries qu'il arbore, être leur chef, il lui glisse son épée sous la gorge et lui intime de faire poser leurs armes à ses hommes s'il veut espérer vivre quelques temps encore. Celui-ci, ne l'ayant pas vu venir, et pour cause, ne peut que s'exécuter. Lorsque tout le monde se trouve désarmé, Lénaël relache l'homme et se présente à lui avec l'ensemble de ses titres de noblesse, alors que Ternibel réapparaît juste derrière le grand elfe, et que Lothar atterrit de façon la plus visible possible aux côtés de son compère. Un murmure traverse les rangs de cette troupe éparse et s'éteint au moment ou l'homme déclare à Lénaël d'une voix très émue :

- Et moi qui pensait que les elfes n'étaient que des légendes pour enfants …

Nous venions de rencontrer les premiers hommes venus de notre monde à l'époque des Ogarks.

Nous les suivons alors vers leur forteresse, au cœur de la forêt, où nous sommes accueillis par le seigneur du château : Karumka, avec qui nous nous entretenons de nos mondes respectifs, de leurs coutumes sur Iskmiar, de leurs croyances, ainsi que des Sarkaï qui nous poursuivent.

Ici, les hommes vénèrent un dieu qu'ils appellent, tout simplement, Dieu. Un temple lui est dédié dans l'enceinte de la forteresse, à l'intérieur duquel ses prêtres s'occupent de Lothar et lui réparent son épaule brisée. Après quelques semaines en écharpe, il n'y paraîtra plus.

Le lendemain, après une courte nuit de repos, nous sommes les hôtes de Karumka pour notre premier repas en compagnie d'humains. La robe de mage de Ternibel suscite quelques sourires et quelques moqueries. Pour y couper court, le magicien interpelle l'un des meneurs, et le fait léviter un peu brusquement jusqu'au plafond, puis le ramène au sol, puis à nouveau vers le plafond, puis vers le sol, etc … jusqu'à provoquer une nausée chez la victime et des suppliques de sa part pour en terminer avec ce supplice. Dès cet instant c'en est terminé des petits sourires envers lui, et c'est avec un certain respect qu'on regardera Ternibel.

Pour la première fois, nous remarquons également la présence de Gnafis solitaires, habillés de couleurs gaies, et dont l'attitude contraste sérieusement avec ce que nous avions vu dans la cîté des Gnafis. Ils en proviennent tous, échappés par quelques moyens divers suite à la disparition de leur alter ego. Le restant de la soirée est passé à se préparer contre l'attaque imminente des Sarkaï : disposition d'archers au sommet de la citadelle, répartition du matériel, etc… L'attaque survient quelques heures plus tard, constituée d'un groupe d'une vingtaine de Sarkaï sur leurs montures. Ces derniers ne pèseront pas lourd devant le feu d'artifice de Ternibel ainsi que les flèches enflammées de Lénaël et des archers de Karumka.

Au matin, il ne reste plus que les cadavres carbonisés des Sarkaï et de leurs montures - et non pas … rien du tout selon ce que l'on nous avait dit à Gnafis City. Les hommes de Karumka nous confirment qu'il en est de même pour les Gnafis.


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