Dératisation à Dirmis

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Treskians, le 3 février 1655.

A la terrasse de l’auberge du Père Tranquille, sur la place du marché de Treskians trois personnages sont attablés et discutent joyeusement.

Le premier est un jeune homme, assez svelte. Il est vêtu d’un pourpoint gris, d’un pantalon en toile assez large, gris aussi, et d’une cape, également grise. Un faucon est perché sur son épaule. Erquem, c’est son nom, est un jeune magicien, issu de l’Ecole de Magie de Treskians. Curieux et libertaire, il a préféré voler de ses propres ailes plutôt que de suivre les cursus magistraux de l’école et de vivre à l’écart du monde.

Le second, approximativement du même âge et de la même corpulence, se nomme Séula. Voleur de métier, il a été affilié quelques temps à la guilde des VRP (Voleurs Rarement Pris) de Treskians, et continue lui prêter son concours occasionnel, surtout lorsque sa majesté Ostanir II de Treskians mandate la guilde pour des missions délicates.

Le troisième a un physique beaucoup plus imposant, est vêtu une côte de maille et laisse pendre à son côté une épée longue, ce qui ne laisse pas de doute quant à sa profession. Brick est un guerrier. Mais pas le guerrier que l’on rencontre dans une armée régulière, austère et discipliné. Non, Brick était aussi jovial, volage et instable qu’il avait des difficultés avec l’autorité. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il avait été surnommé « Le réfractaire ». Il allait de ville en ville à la recherche d’aventures, et se contentait de cette vie. Une sorte de mercenaire, sans le côté vénal. Ses bras et son épée avaient été loués par la guilde pour une mission dans laquelle Séula intervenait. Le caractère enjoué du guerrier et l’esprit malicieux du voleur s’étaient tout de suite trouvés en phase.

Alors que le guerrier porte une choppe de bière à sa bouche, et que le voleur et le magicien trinquent avec un verre de jus de fruit fermenté, une patrouille de la garde d’Ostanir II entre sur la place, et se dirige droit vers leur table.

Avant que les trois compagnons n’aient réalisé ce qui se passait, le chef de la patrouille se plante devant Erquem, pose un pli cacheté devant lui, les salue collectivement, et, sans leur adresser directement la parole, claque un « Demi-tour … Tour ! » destiné à sa patrouille, avant de quitter la place comme il était arrivé, de sa démarche raide rythmée par le claquement des pas.

Les effets de la surprise s’estompant, c’est Brick qui rompt le silence.

- Eh bien, si les services de la poste de Treskians étaient aussi efficaces, cette ville serait encore plus prospère !

- Tu l’as dit … Et la prospérité de Treskians, c’est la mienne ! ajoute Séula, avant de se tourner vers Erquem qui regarde le pli avec méfiance, et d’ajouter : Et toi, tu n’as pas envie de savoir de quoi il retourne ?

- Il faut voir … Un message de la garde d’Ostanir, c’est un message d’Ostanir, et donc un ordre d’Ostanir … probablement quelque chose dont je pourrais très bien me passer. Sinon, on me l’aurait annoncé autrement.

- Est-ce que cela veut dire que tu ne vas pas l’ouvrir ? lui demande Séula.

- Je ne suis pas certain d’avoir le choix, si tu veux mon avis …

Le magicien finit par briser le sceau et déplier le message. Après une brève lecture, un sourire s’affiche sur son visage. Il fait glisser le feuillet sur la table vers ses compagnons :

- Voilà … Qu’est-ce que j’avais dit. La bonne nouvelle, c’est que nous sommes tous concerné, et pas seulement Erquem em Krenargon !

Allez donc à l’auberge « À la carpe farcie » à Dirmis, et attendez !

Y∏ Ostanir II,
seigneur de Treskians
pour 6*

Alors que Brick éclate d’un rire tonitruant, Séula émet quelques remarques plus élaborées.

- Euh … Brick, tu nous fais partager ta joie ? lui demande Séula.

- Ah ah ah … La carpe farcie ! Elle est bien bonne ! J’ai connu une maison de joie à Matang. Quel souvenir ... Elle s’appelait comme ça parce que toutes les filles étaient muettes ! Ah … ah … ah …

- Merci … Brick ! J’imagine bien Ostanir et Sarnik nous envoyer dans un bordel. Je comprends que tu rigoles comme un bossu.

- Et au fait, reprend Erquem, comment nous rendons-nous à Dirmis ? Tu as une idée, Séula ?

- Je vais aller voir à la guilde des marchands. Avec un peu de chance, nous pourrions nous joindre à un convoi, et monnayer nos services de protection contre le prix du voyage.

Et Séula de quitter la terrasse de l’auberge, alors que Brick continue à émettre périodiquement des éclats de rire.

Deux heures plus tard, le voleur revient, visiblement satisfait. Un convoi de marchands quitte Treskians dans trois jours, à destination de Dirmis. Séula n’a pas d’information sur la nature des biens transportés, mais la guilde est visiblement satisfaite de pouvoir disposer d’une garde rapprochée, avec des compétences variées. Les chevaux du convoi seront mis à disposition des compagnons, et le couvert leur sera offert en contrepartie de leurs services.

Un peu plus de trois semaines plus tard, après une escale à Matang, le convoi entre dans la ville.

Dirmis est une ville de taille moyenne, un peu plus petite que Treskians, qui est construite sur un large fleuve. Les dirmisiens vivent de la pêche, et la ville est connue pour une production de toile de bonne qualité, toile principalement utilisée pour la voilure des bateaux de pêche.

La partie nord de la ville est celle de la citadelle et des quartiers populaires. La partie sud est celle des beaux quartiers dans lesquels résident les notables de la ville, sur une colline qui fait face à la citadelle. Entre les deux parties reliées par plusieurs ponts, le long du fleuve, se trouve le quartier commerçant.

De tous les quartiers de la ville, le beffroi est visible, avec son horloge caractéristique dotée de quatre aiguilles : deux pour les heures et les minutes, rien de très original, une pour le mois lunaire, et une pour la phase lunaire du mois.

L’auberge de « A la carpe farcie » est un lieu moins que fréquentable, pour ne pas dire mal famé, situé dans les bas quartiers de la ville. Elle était connue pour servir d’une part, de repère aux joueurs les plus minables et endettés de toute la ville, et d’autre part une bière tiède absolument infecte …

Brick, Erquem et Séula avaient fini par se retrouver assis autour d’une table crasseuse, et attendaient, dans une fin d’après-midi moite, leur troisième choppe de bière tiède à la main. Ils ne savaient pas véritablement ce qu’ils attendaient, mais ils attendaient, comme le message d’Ostanir le leur avait signifié.


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