Iskmiar - IV

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A peine une semaine que nous sommes revenus de notre petite expédition à MEDRILAN, et déjà les remous qu’elle provoque se font sentir. La disparition de IAZUR fait, dans la mesure du possible, presque autant de bruit que son installation au chateau.

Bien que tout soit fait chez Karumks et Elinia pour lui rendre la vie douce, la chère enfant fait caprice sur caprice, ne veut rien entendre, exige d’être retournée à son père, en deux mots, fait tourner le monde en bourrique. Rien de nos explications, certes assez vagues pour le moment, ne pouvait lui faire entendre raison, et en deux mots, elle nous boudait délibérement. Toutefois, la vie de chateau avait des aspects qui ne la laissaient pas insensible, et la fascination qu’exerçait sur elle la garde-robe à laquelle elle avait accès prouvait déjà sans aucun doute possible son appartenance à la caste des chipies.

Pour éviter ses tours les plus pendables et déjouer ses tentatives de prendre la poudre d’escampette, ainsi que pour assurer sa sécurité -la moindre des choses-, Karumks, dans sa grande sagesse, avait décidé d’assigner une escorte personnelle à la demoiselle, et ordonné à son capitaine des gardes, le vaillant Aspriz Traknar, de veiller à cette tâche.

Pour tenir son rôle, ce qu’il faisait avec un professionnalisme qui nous impressionnait tous, Aspriz non seulement devait faire preuve de vaillance, mais aussi d’une extrème patience … car il ne devait quitter l’élue des yeux à aucun moment et sous aucun prétexte.

Mais les remous "politiques" découlants de la migration forcée de la donzelle vers le palais de cristal bleu étaient d’une autre ampleur … Ce matin, deux délégations des palais de cristal rouge et vert se sont présentées et ont exigé une entrevue avec Karumks.

Toutefois, nous n’avons pas de mal à remarquer que ces délégations ne sont pas uniquement composées de diplomates, mais aussi de Sarkaïs et d’une garde conséquente. Alors qu’elles se dirigent vers la salle du conseil, où le Seigneur les reçoit, Lénaël, invisible, les prend en filature, mais se voit fermer les portes de la grande salle au ras des oreilles. Lothar, intrigué, est sorti du palais par la voie des airs et constate avec étonnement que chacune des deux délégations est venue accompagnée : deux campements vert et rouge sont installés respectivement au Nord-Est et à l’Est du chateau. Chacun de ces campements semble abriter approximativement 200 gardes et Sarkaïs, le total représentant une force à peine inférieure à celle du palais bleu !

Lothar informe immédiatement Lénaël, par leur mode de communication usuel, de ce qu’il observe.

- Mon grand ? …
- Vas-y, je t’écoute. Où es-tu ?
- Assez haut, à quelques lieues du palais, vers le Nord-Est. Tu ne devineras jamais …
- Quoi ?
- Les délégations "diplomatiques" ont un soutien logistique qui l’est beaucoup moins : deux campements, qui visiblement s’ignorent pour l’instant, situés à distance du palais. Il y a du monde en armes et des Sarkaïs à profusion ! …
- Pfuhh …
- Tu l’as dit. Je crois que ça intéresserait beaucoup Karumks et Sudrank.
- Quoi ?
- Sûrement. Mais il y a juste un petit problème, c’est que je ne suis pas dans la salle du conseil, je me suis fait coincer dehors. Sudrank n’y est pas non plus, il doit être dans la bibliothèque. Je vais essayer de le trouver. On se retrouve là-bas. A tout de suite.
- J’arrive.

Ternibel, lui, avait réussi à s’introduire dans la salle du conseil par des moyens que seul lui, de nous trois, pouvait utiliser, et y était dissimulé derrière une grande tenture d’où il pouvait observer à sa guise les discussions.

Pendant ce temps, Lothar a rejoint Lénaël et Sudrank dans la bibliothèque. Lorsqu’il apprend ce qu’a observé le demi-elfe, il est extrèmement surpris et décide d’en informer Karumks sur le champ, en interrompant la séance. C’est ainsi que Ternibel le voit entrer dans la salle, se diriger vers le Seigneur et lui parler longuement à l’oreille, pendant que celui-ci blêmit, avant d’ajourner la séance au lendemain.

Un peu plus tard dans l’après-midi, Karumks nous fait mander auprès de lui, où nous retrouvons Sudrank, certains points méritant, selon lui, d’être éclaircis (ce en quoi nous étions tout à fait d’accord).

- Mes amis, je dois vous confesser quelques détails qui me troublent et qui doivent vous troubler également. En réalité, quand vous êtes arrivés ici et que nous vous avons parlé de la prophétie de Sesteria, nous connaissions déjà l’existence de Iazur. Mieux que cela, nous connaissions déjà Iazur et nous savions où elle était. En fait, chacun des trois palais de cristal connaissait cela.

(Lénaël à Lothar, en apparté)

- J’ai un mot sur le bout de la langue …
- Un nom de volatile, peut-être ?
- C’est bien possible, oui …
- Pigeon, peut-être ?…
- Comme c’est bon de se comprendre à demi-mots …

Mais Karumks continuait.

- Je sais bien ce que vous allez vous dire. Il est facile de manipuler des étrangers qui se retrouvent dans un monde qui n’est pas le leur et de les impliquer à leur insu dans des intrigues dont ils n’ont pas idée. Mais je vous assure que là n’est pas notre dessein. Comprenez-nous. La prophétie doit s’accomplir. Mais pour cela, Iazur doit être extraite de son milieu, et doit être instruite de beaucoup de choses. Et cette instruction doit forcément se tenir dans l’un des palais de cristal. Et c’est la que le bât blesse, car les deux autres palais ne l’entendraient sûrement pas ainsi, craignant que LE palais retire de l’hébergement de Iazur on ne sait trop quel profit qui leur porterait préjudice. De ce fait, depuis longtemps déjà, elle était surveillée conjointement par les trois palais, et le statu quo aurait pu durer encore longtemps. Mais votre arrivée nous a laissé penser que les temps étaient venus pour l’action …

(…silence…)

Karumks était convaincant. Le fait est que nous avions été manipulés, une fois de plus, mais, sur le fond, nous étions d’accord pour admettre qu’il n’avait peut-être pas tort. De toute façon, le mal était fait, et pour aller de l’avant, nous devions maintenant faire en sorte qu’il n’arrive rien à Iazur, et qu’elle reste sur le droit chemin.

Karumks reprenait encore.

- Au point où en sont les choses, nous devons tout faire pour conserver la présence de Iazur parmi nous, en évitant une crise politique majeure. Je suis ouvert à toutes vos suggestions, et je vous demande de croire que vos conseils nous aiderons grandement.

Lothar et Lénaël avaient déjà quelques idées sur la question. "Diviser pour règner" semblait être un bon point de départ. Il va de soi que même sans lui en parler, Karumks ne pouvait qu’être d’accord sur le principe…

Dans le courant de la soirée, alors qu’Aspriz raccompagne Iazur à sa chambre, un valet du chateau se précipite sur elle un couteau à la main. Les yeux hagards de l’homme et son allure peu naturelle frappent le garde du corps de la jeune fille. S’interposant instinctivement, il ôte la vie à ce pauvre hère qui vient s’empaler sur son épée sans manifester le moindre signe de douleur. En le fouillant, il ne trouvera sur lui rien de remarquable en quoi que ce soit. Quand Aspriz se redresse, Iazur a disparu. Après l’avoir cherchée dans sa chambre et dans les environs directs du lieu de l’attentat, où, effrayée, elle aurait pu se réfugier, il est forcé de constater qu’elle avait profité de la confusion pour lui filer entre les doigts. Ce n’est que de justesse qu’il la rattrapera au moment où elle s’apprêtait à sortir du palais, avant de la sermonner conséquemment.

Vers le milieu de la nuit, Ternibel se joint à la paire elfique, et bientôt tous trois sont dehors sans que les sentinelles n’aient rien remarqué. La nuit est douce et étoilée, et les trois compères sont d’humeur fort avenante à l’idée de la confusion qui va s’installer dans les heures à venir.

Le campement de la délégation du palais de cristal vert est calme, des sentinelles montent la garde ci et là, adossées à des arbres ou faisant les cent pas. Soudain, deux flèches décochées simultanément viennent se planter dans le cœur et dans la gorge d’un garde un peu à l’écart. Le malheureux n’aura même pas le temps d’émettre le moindre râle avant d’expirer, "enflèché" dans l’arbre qui le soutenait. Quelques instants plus tard, un autre garde a fait les frais de notre chasse nocturne. Rapidement, Lothar et Lénaël dépouillent les deux ex-sentinelles et enfilent leurs tenues. Le premier corps est dissimulé dans la forêt, et nous emmenons le second avec nous, pour les besoins de notre machination. Les deux elfes, tout vêtus de vert, repartent donc avec Ternibel en direction du campement de la délégation du palais de cristal rouge.

Alors que le trio s’embusque pour entrer dans la seconde phase de cette mise en scène machiavélique, Lothar bande son arc et s’apprête à décocher son trait vers une victime isolée, quand soudain … par une maladresse inouïe, le corps de son arc lui glisse des doigts, et vient lui heurter le visage, le sonnant littéralement, alors que la flèche qu’il s’apprêtait à tirer tombe misérablement à terre …

Le bruit, bien que discret, a attiré l’attention de l’ex-future-victime, qui a tourné la tête dans notre direction. De plus, un groupe de trois autres sentinelles s’approche nonchalemment de leur camarade adossé à un arbre. Lénaël décoche alors un trait foudroyant qui adosse définitivement l’homme à son arbre, pendant que Ternibel déchaine une terrible, quoique étrangement localisée, tempête de neige et de glace sur le petit groupe de gardes. Quand elle cessera, Lénaël et Lothar, revenu à lui, acheveront ce bel ouvrage à l’arc.

Puis, nous mettons de côté l’un de ces malheureux gardes vêtu de rouge, et alors que les deux compères se tiennent le plus ostensiblement possible en vue de gardes potentiels, Ternibel, bras tendus et marmonnant une incantation, fait jaillir de ses paumes de mains une boule de feu qui embrase bientôt les tentes qui forment le cœur du campement, pendant que Lothar et Lénaël s’enfuient le moins discrètement possible. Une fois dans la forêt, le cadavre du garde rouge est récupéré, et nous le trainons jusqu’au triste lieu de notre embuscade contre les gardes verts. Là, nous pouvons rhabiller ces derniers avec les effets que nous leurs avions momentanément empruntés, avant de mettre en scène une bataille posthume entre cadavres verts et cadavre rouge, qui aurait de toute façon très bien pu survenir même sans notre concours …

Enfin, histoire de chauffer un peu l’ambiance, Ternibel renouvelle son lancer de boule de feu au milieu des tentes, mais vertes, cette fois, pour changer un peu.

Satisfaits de notre ouvrage, nous nous éclipsons discrètement vers le palais, laissant la nature faire le sien …

Pour Aspriz, la soirée n’avait pas été également de tout repos. Après la tentative de meurtre avortée sur Iazur, il avait dû un peu plus tard contrer un autre type d’approche au moins aussi surprenant. Un Sarkaï s’était présenté à l’entrée des appartements de Iazur -et désormais d’Aspriz. Il avait prétendu que le Seigneur voulait voir Iazur -seule !- sur le champ, et sommait Aspriz de la lui remettre sans plus tarder. Le capitaine des gardes lui avait répondu avec autorité que si Karumks avait un message à lui transmettre, il ne le recevrait que de sa propre bouche. L’homme n’avait pu insister plus longtemps.

Au petit matin, nous sommes réveillés par les premiers rayons des deux soleils. Le temps est superbe, et bien que les petits oiseaux ne chantent pas, faute d’exister sur ce monde étrange, nous nous sentons d’humeur extrèmement joyeuse. Un rapide coup d’œil à l’extérieur nous confirme que la nuit n’a pas été aussi réparatrice pour tout le monde que pour nous… En deux mots, c’est le foutoir le plus complet. Des escarmouches ont visiblement eu lieu entre les deux délégations, et les deux campements sont en piteux état.

"Si tu veux la paix, prépares la guerre… entre les autres !"…

Maintenant que les représentants des deux palais étaient occupés entre eux, et dans la mesure où ils ne pourraient faire éternellement le siège du palais bleu -double éclipse oblige-, nous allions pouvoir réfléchir un peu plus calmement au sujet qui nous préoccupait. Et les évènements de la nuit dans le chateau n’allaient pas pour nous rassurer.

Après enquête d’Aspriz, le Sarkaï qui réclamait Iazur ne semble pas appartenir au chateau. Avec le concours du capitaine des Sarkaï, il est finalement prouvé que c’est bien le cas. Ce qui nous plonge dans un trouble pour le moins profond : quelqu’un veut tuer Iazur, et en même temps quelqu’un veut l’enlever. Difficilement compatible… En ce qui concernait l’enlèvement, cela nous semblait clair, il ne pouvait s’agir que des délégations du palais vert ou du palais rouge. Mais en ce qui concernait le meurtre… à moins que… les GNAFIS ou les SIISKS, ou les deux… Là, tout serait logique. Iazur mènerait ce monde vers son destin, qui ne peut être qu’humain, et représenterait donc la fin des Gnafis et des Siisks, qui n’auraient d’autre solution que de l’éliminer pour continuer leur guerre de cent siècles.

Etant donné la force de frappe de ces deux peuples, assurer la sécurité de Iazur allait rapidement devenir épuisant, voire dangereux, à moins de la convaincre de commencer au plus tôt son apprentissage des arts dont elle ignore tout à ce jour, ce qui pouvait également s’avérer épuisant…

Dans les appartements de Iazur, qui est entourée d’Aspriz, Lothar, Lénaël, Ternibel et Naf…

- Iazur ?… commence Lénaël
- Mouais ? …
- Il y a des choses que l’on doit te dire.
- Mouais ? …
- Nous souhaiterions que tu commences ton initiation.
- Mon initiation à quoi ???
- A la méditation, à la magie, à un certain nombre de disciplines que tu ne pratiques pas encore.
- Je n’ai pas besoin d’apprendre des tours pour faire rire les enfants et épater les gogos. C’est des trucs tout ça, la magie n’existe pas, je le sais très bien !
- es elfes non plus, d’ailleurs, c’est bien connu …
- Exactement. Je ne sais pas trop d’où vous venez, mais sûrement pas d’un soit disant autre monde. Je suis peut-être jeune, mais je ne suis pas complètement gourde.

Lénaël se sentait devenir impuissant face à l’incrédulité de Iazur. En se tournant vers Lothar, il lui glisse avec un sourire crispé :

- J’ai comme dans l’idée que ça ne va pas être de la tarte … Si tu veux bien tenter ta chance, je te la laisse, parce que je crois que je vais perdre mon calme.

(…silence…)

- Iazur … tu ne te demandes pas pourquoi tant de gens se sont intéressé à toi ces derniers temps ? reprend Lothar
- Pourquoi ça ?
- En l’espace de quelques semaines, nous, des étrangers à l’allure quelque peu différente des gens de cette région, avons débarqué dans ta ville accompagnés d’un Gnafis, avant de te retirer à ton père ; un valet au cerveau vidé par on ne sait trop qui a essayé de te tuer ; des faux Sarkaï ont essayé de t’enlever ; et des délégations venues des deux autres palais de cristal exigent auprès de Karumks que tu sois retournée à ton père à Médrilan ! Tu ne crois pas que cela fait beaucoup ?
- Non, ça ne m’étonne pas. Mon père est quelqu’un d’important, il est normal qu’on s’intéresse à sa fille.
- Ben voyons ! Et il est normal que les gens qui s’intéressent à sa fille soient capable de voler, ou de se disparaître de la vue de tous, voire de lancer des boules de feu ou des éclairs !
-
- Iazur, il est temps que tu ouvres les yeux ! Tu disais il y a quelques instants que tu n’étais pas complètement gourde, alors le moment est venu d’admettre certaines choses qui te semblent insolites si tu veux avancer sur le chemin de la vie.

Derrière Lothar, Aspriz, Ternibel et Lénaël se gaussaient discrètement de ce grand discours moralisateur qu’était en train de débiter le demi-elfe. Pourtant, le silence de Iazur, même s’il ne signifiait pas son abdication, indiquait tout au moins que quelques doutes commençaient à s’immiscer dans son esprit terre à terre. Et Lothar de continuer à essayer d’ébranler ses certitudes :

- Quoi que tu en penses, tu ne connais pas encore grand chose du monde qui t’entoure. Il est beaucoup plus complexe que ce qu’on peut en percevoir au premier abord, et le rôle que tu vas devoir y jouer est de première importance. Ton destin est marqué d’un signe particulier, Iazur, et même si ce sont des choses difficiles à admettre pour l’instant, il faut que tu prennes conscience de tout cela. Et tous les gens qui s’intéressent à toi le font parce que tu n’es pas une personne ordinaire. Regarde nous bien Iazur, Ternibel, Lénaël et moi ne sommes pas originaires de ton monde. Nous venons d’un monde nommé Treskians, d’où sont venus il y a très longtemps les hommes qui se sont installés sur Iskmiar. Et notre rencontre n’est pas un hasard, elle était écrite depuis bien longtemps. Ce destin qui te manipule en fait de même avec nous trois.
- Mais comment voulez-vous que je croie tout ça ! Un autre monde, des histoires de destin, je n’y comprends rien, maintenant j’en ai assez de vos imbécilités…
- Attends un peu. Quand je te dis que c’est le destin qui nous a fait nous réunir, et que c’était écrit, c’est parce que c’était réellement écrit. Il y a ici dans la bibliothèque un grimoire qui contient des prophéties de la magicienne Sesteria. L’une de ces prophéties parle de toi et de nous, Iazur, ce sont des mots écrits sur du papier depuis des siècles, et ces mots contiennent ton nom et des symboles nous désignant.
- Comment voulez-vous que je croie ça ?…
- Attends un peu, nous allons te la montrer …

Et Ternibel et Lénaël d’aller chercher le grimoire chez Sudrank …

Mais Lothar avait oublié un petit détail : le grimoire était rédigé non pas en langage courant, mais en Treskians ancien, que Iazur ne savait bien évidemment pas déchiffrer… Voila qui ne simplifiait pas les choses !

Après de vaines tentatives, nous finissons par lacher prise, et laisser la chère enfant retourner à ses chiffons, plus bornée que jamais. Profitant de ce petit moment creux de la fin d’après-midi, nous avons une discussion avec Naf au sujet de ces étranges tentatives de meurtre et d’enlèvement sur Iazur. Il nous propose de sonder mentalement les environs du chateau (les "environs" s’étendant à une bonne dizaine de lieues …), et après deux heures d’intense concentration, nous informe qu’il a remarqué quatre "trous" dans la couverture de la région : des zones sur lesquelles un "bouclier mental" empêchait toute pénétration.

Ces quatre trous exitent notre curiosité, et après quelques hypothèses floues, nous décidons d’aller en parler à Sudrank. Alors que nous sortons des appartements de Iazur, quatre Sarkaïs vêtus de bleu s’avancent vers nous du fond du couloir. Aspriz, en faisant instinctivement à Iazur un rempart de son corps, nous glisse que celui des quatre qui est devant ressemble étrangement au Sarkaï qui était venu réclamer Iazur il y a quelques nuits. Un rapide coup d’œil au fond du couloir nous confirme que quelque chose ne va pas : les deux sentinelles sont toujours au garde à vous, le long du mur, mais deux manches de poignards saillent de leur cou … En quelques instants, tout s’emballe, et un combat d’une extrème sauvagerie éclate dans le couloir.

Le "Cling" … et Lothar a disparu du champ de bataille alors que les quatre Sarkaï s’approchent, le premier d’entre eux une épée à la main, suivi de deux autres qui semblent se concentrer et d’un dernier qui marmonne des choses qui ressemblent fort aux prémisses d’un sort. Pour une raison étrange s’apparentant à un demi-elfe surgissant on ne sait comment dans le dos d’un Sarkaï, armé d’une épée sur le point de porter un coup destructeur, le sort ne partit jamais, faute de pouvoir recoller sur ses larges épaules ce qui lui servait de tête…

C’est le signal de la mélée générale. Le Sarkaï de tête tente de se frayer un chemin jusqu’à Iazur, et les deux suivants se heurtant respectivement à Lénaël et à Naf. Le Gnafis plonge dans les pieds de son opposant, et avec une force étonnante pour sa taille, le projette à terre, où il subit le feu de Ternibel qui lui fait rendre l’âme. Lénaël enchaîne une terrible suite de balayages et de coups sur son adversaire qui n’y survivra pas, malgré le désir contraire de l’elfe qui souhaitait un survivant pour pouvoir l’interroger. Enfin, Aspriz, protégeant Iazur avec tout son talent de guerrier, s’était défait du Sarkaï restant en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, et celui-ci gisait à ses pieds avec les traces flagrantes du fugitif passage d’une lame de belle taille à travers son corps…

Et tout rentre dans l’ordre, à quelques cadavres près. A bien examiner les dits cadavres, il s’avère que sous leur plastron bleu, ils portent un plastron rouge ! et à encore mieux y regarder, sous le plastron rouge, on trouve un plastron vert …

Quelques instants plus tard, la garde du chateau est sur place. Il nous est vite confirmé que ces quatre Sarkaï ne sont pas du palais de cristal bleu, ce dont nous nous doutions! L’état d’urgence est instauré le soir même par Karumks : doublement de la garde à l’entrée du palais, avec la participation des Sarkaïs, tout déplacement dans l’enceinte du palais devant impérativement se faire sous la protection de la garde.

L’incident a énormément perturbé Iazur, qui est restée prostrée dans sa chambre depuis lors, et dont on ne peut plus tirer la moindre parole.

Le lendemain matin, la nuit semblant lui avoir porté conseil, elle est mieux disposée à notre égard.

- Lothar, Lénaël …
- Oui, Iazur ? lui répond l’elfe
- J’ai beaucoup réfléchi à tout ce que vous m’avez dit hier après-midi.
- Oui, et alors … ?
- Alors au vu de ce qui s’est passé hier soir, je crois que je veux bien admettre certaines choses … et aussi que je veux bien essayer de commencer cet … entraînement dont vous m’avez parlé… Au fait, en quoi consiste-t’il ?
- Il consiste à essayer de faire s’exprimer le pouvoir qui doit être en toi, par le biais de la méditation, de l’exercice physique et de la pratique de la magie. Plus vite tu seras en mesure de le contrôler, et plus vite tu seras en sécurité. C’est aussi simple que cela.

A ces mots, nous nous sentons tous soulagés d’un grand poids, même s’il restait encore un long chemin à parcourir, et surtout pour aller où ?… Mais au moins, Iazur s’était rendue à la raison. Il était grand temps.

De notre côté, nous essayons de construire un plan pour la mettre à l’abri, autant que faire se peut. D’abord, demander à Naf de sonder à nouveau les environs du palais pour tenter d’y découvrir quelque chose. Après quelques heures de méditation, il nous informe que rien n’a changé : les quatre zones d’ombre sont toujours là.

Nous décidons donc d’aller explorer ces zones dès que la double éclipse, imminente, se sera produite. D’autre part, nous établissons un "plan de formation" pour Iazur. Chacun tentera de lui apporter selon ses domaines de prédilection. D’abord Naf pour le contrôle de l’esprit, la relaxation et la maîtrise du corps, ensuite Lothar pour l’adresse, la coordination, les jongleries et autres culbutes, puis Lénaël pour la méditation et des rudiments d’arts martiaux, puis Ternibel pour la magie, partie essentielle s’il en est, et enfin Aspriz pour le maniement des armes.

A l’extérieur du chateau, les deux délégations, sentant l’éclipse arriver, ont fini par lever le camp, soulageant Karumks d’une pression diplomatique qui commençait à devenir inconfortable.

En quelques jours, les progrès de Iazur sont déjà étonnants, son adresse, sa coordination nous sidèrent, elle est bientôt capable de déplacer des objets conséquents avec sa force mentale et de pirouetter avec talent. Le pire est qu’elle considère tout cela comme un jeu, qu’elle y prend un grand plaisir, qu’elle en veut toujours plus, et qu’elle utilise cela pour des tours du plus mauvais goût.

Quelques jours plus tard, l’éclipse se produit enfin, alors que nous commençons à trépigner d’impatience. Mais lorsqu’elle s’achève, Naf ne trouve plus trace de ces quatre zones d’ombre vers lesquelles nous souhaitions aller fureter. Dépités, nous ne savons plus trop de quel côté nous tourner pour déméler cet imbroglio, quand survient Sudrank, venu nous saluer :

- Bien le bon jour, sage Sudrank, lui adresse Ternibel.
- Salut à tous. Au sujet de l’incident d’hier soir, il y a un petit point qui me soucie, et que j’aimerais vous exposer. Il concerne les plastrons des Sarkaïs des trois palais de cristal.
- Les plastrons bleus, verts et rouges comme ceux que nous avons trouvés sur le groupe de Sarkaïs qui en voulaient à Iazur ? interrompt Lénaël.
- Tout juste. La fibre qui les compose est très particulière. Elle n’est utilisée que pour ces plastrons, qui sont de surcroit à usage exclusif de nos trois palais. Il se trouve que les plastrons de nos visiteurs nocturnes sont justement de cette matière. L’usine qui les fabrique se situe à Medrilan, et elle est très contrôlée par les trois palais. J’ai demandé pour vous cette lettre de crédit à Karumks, afin que vous puissiez y accèder officiellement, en espérant que vous puissiez y trouver quelquechose.

Les choses commençant à se troubler singulièrement dans nos esprits, la nécessité d’agir n’allait pas tarder à se faire sentir. Et si nous n’y obéissions pas, notre santé mentale en sortirait fortement obérée. Au moins, grâce à Karumks, nous avions un semblant de direction et un but immédiat.

A l’annonce de notre départ imminent, Iazur souhaite que nous portions une missive à son père, ce qui ne nous réjouis guère, et finis péniblement par obtenir de Lothar que son contenu ne soit pas lu de nous. L’après-midi même, abandonnant Aspriz à son devoir, et en lui laissant la compagnie de Naf, nous quittons le palais de cristal bleu et faisons route vers Medrilan ventre à terre.

Nous atteignons la "cîté du milieu" en un temps record, et à peine arrivés, nous nous précipitions dans cette petite auberge, repère de filous, dans laquelle nous avions fait un passage remarqué il y a quelque temps. Là, nous identifions un homme que nous avions déjà vu en compagnie de notre ami Bhob et que nous savons appartenir à la même organisation, et nous nous imposons avec tact autour de la planche crasseuse qui lui sert de table.

- Pouvons nous nous permettre de nous installer à votre table ? tente Lénaël en finissant de tirer sa chaise sous lui …
- Y’a d’la place ailleurs ! Puis en considérant l’allure et l’équipement des trois nouveaux arrivants, l’homme se reprend et ajoute, alors que les trois compères sont déjà installés :Mais si vous voulez vraiment vous mettre à cette table, ça m’dérange pas !
- Vous êtes fort aimable, lui lance Lénaël en lui assènant sur les épaules une claque bourrue qui le fait chanceler sur sa chaise.
- Tavernier, lance Lothar, trois repas, et du vin pour quatre !
- Pour trois ! Ce sera du lait pour moi, rectifie Ternibel, alors qu’un murmure traverse l’auberge, mais s’éteint rapidement au souvenir des dégats infligés par le magicien à une certaine catégorie de la population qui cherchait à nuire à lui-même et à ses compagnons.
- Mon brave,Lothar s’adressant à l’homme, nous souhaiterions rencontrer Bhob au plus vite, où pourrions-nous le trouver ?
- Connait pas …

L’aubergiste sortant de ce qui lui sert de cuisine et s’approchant de notre table distribue approximativement sur la table un pichet de vin et trois assiettes de goulash, et, nous tournant le dos, nous lance un

- Bon appétit messieurs !
- Bois donc un coup, c’est très bon pour la mémoire, reprend Lénaël. Il y a quelques semaines, nous avons … aidé ?… Bhob dans les troubles qui ont secoué Medrilan. Aujourd’hui, nous aurions un petit service urgent a lui demander.
- Mouais … je vais voir si le chef est d’accord pour vous rencontrer. Si c’est bon, il sera là ce soir à la tombée de la nuit.

Et l’homme de disparaître …

- Le chef ??? …

Le soir même nous retrouvions Bhob avec un certain plaisir. Malgré le départ étrange qu’avaient pris nos relations, il nous était rapidement devenu sympatique, et une sorte de confiance s’était établie entre nous. Il nous emmène sur le champ dans à l’auberge du Lion d’argent, qui est d’une catégorie très largement supérieure. Là, il nous conseille d’y réserver nos chambres, avant de nous retrouver à table.

Au cours du diner, il nous expose les problèmes qu’il rencontre au sein de ses nouvelles fonctions. Il a maintenant en charge l’organisation de réseau pour près de la moitié de la ville. Mais ces responsabilités semblent lui peser, car son humeur n’est plus aussi sereine qu’il y a quelques semaines. Il finit par nous en exposer la raison.

- Je dois vous dire, mes amis, que le climat s’est quelque peu détérioré depuis votre départ. Pour tout dire, je dois même vous avouer que je suis assez inquiet. En quelques semaines, l’insécurité a considérablement augmenté dans les bas quartiers. Il semblerait que ce soit, non pas le fait d’individus isolés, mais celui d’une organisation. Il ne fait plus bon sortir la nuit tombée si vous n’êtes pas de taille à vous défendre face à un petit groupe de larrons armés de poignards et de batons.
- Et il est si difficile de les neutraliser avec le réseau d’information dont tu disposes ? intervient Lothar.
- Apparemment oui … Nous n’arrivons pas à remonter grand chose de nos informateurs. Ce n’est pas que nous soyons dépassés sur toute la ligne, non, nous sommes fréquemment confrontés à des éléments de cette organisation, mais ils sont toujours en bande et préfèrent se battre jusqu’à leur dernière goutte de sang plutôt que de se rendre, alors nous n’avons jusqu’à maintenant jamais pu en attraper un vivant … Et comme ils sont de plus en plus nombreux, je commence à m’inquièter pour Medrilan.
- Ecoutes, propose Lénaël, nous pouvons essayer de t’aider. Nous voulions te voir au sujet de la manufacture de textiles pour les trois palais de cristal. Nous avons des raisons de penser qu’il y a un élément étranger qui fournit on ne sait trop qui avec des plastrons officiels des trois palais. Le simple fait de les porter permet à n’importe qui d’aller et venir à sa guise, ou presque, dans les palais. Nous aurions besoin que tu essaies d’obtenir des informations à ce sujet. Si tu le veux, nous pouvons nous occuper de ce qui te soucie pendant ce temps. Je suis sûr que l’on arrivera à te remonter quelque chose. La pêche au vif, ça mord toujours …
- Je vous fais confiance ! … Laissez-moi quelques jours, et je vous recontacterai ici dès que j’ai quelque chose.

Le diner se termine paisiblement. Nous décidons de porter, dès le lendemain, le pli que la donzelle nous a confié à l’adresse de son père. Au matin, nous abandonnons quelques heures Ternibel à l’auberge pour aller rendre visite à Smilan Torok. Toutefois, la méfiance et la curiosité de Lothar l’emportent, et il décide que Lénaël y ira seul, enfin, plus précisement, que le père de Iazur le recevra lui et lui seul.

L’elfe quitte alors l’auberge et se dirige vers la haute ville. Lorsqu’il se présente devant la maison du grand commerçant, lançant un : "J’ai une lettre pour Smilan Torok. De sa fille …"

les gardes, le reconnaissant, et reconnaissant en lui l’auteur de l’enlèvement de la fille de leur maître, sont d’abord figés de stupeur, avant de se reprendre vite. Ils le laissent entrer, et l’amènent à Torok, sévèrement encadré. Tellement encadré que Lothar, non visible, éprouve quelques difficultés à se glisser à sa suite …

A la vue de Lénaël, Smilan Torok se lève, comme ulcéré.

- Vous osez remettre les pieds sous mon toît après les méfaits que vous y avez commis ! … Vous m’avez abusé, et moi, j’ai été assez crédule pour gober les balivernes que vous et votre petite bande d’aventuriers m’avez débitées. Je devrais ordonner à mes gardes de s’emparer de vous sur le champ …
- Vous pourriez, Messire Torok … et l’elfe de reprendre. J’ai pour vous une missive de votre fille. Elle m’a demandé de vous la remettre en main propre.

Sur un signe de tête du maître, un garde vient prendre des mains de Lénaël la dite lettre, et la porte à son destinataire qui, commençant à décacheter le pli, émet à l’adresse de l’elfe :

- Je ne vous retiens pas.

Derrière lui, la garde se retire, laissant Torok seul dans la pièce. Enfin, seul …

Lothar, toujours invisible, observe avec intérêt le gros marchand qui déplie la lettre de sa fille. A sa grande déception, elle ne contient que des banalités sur sa santé, la vie au chateau, et quelques bons souhaits à son père. Tous comptes faits, en observant attentivement Torok, il semblait que la disparition de sa fille n’affectait pas le gros marchand plus que cela. Il finit par ranger la lettre dans la poche de sa tunique en grommelant quelque chose, avant de sortir de la pièce et d’y laisser un Lothar bien dépité par le fruit de ses investigations.

Plus tard, à l’auberge …

- Alors ? ironise Lénaël …
- Oui, bon … ça va ! coupe Lothar. Disons que je me suis fait des idées sur le contenu de cette lettre. Mais on ne m’otera pas de l’esprit qu’elle aurait pu contenir des informations méritant d‘être connues de nous.
- Mais bien sûr, Lothar, on ne dit pas que tu as tort … conclue Ternibel avec un petit sourire en coin.
- Tes doutes étant dissipés, Lothar, reprend Lénaël, que dirais-tu d’une pièce de mouton rôti ? J’ai senti qu’il se préparait des choses intéressantes en cuisine.
- Bonne idée !

Au fil du repas, discutant avec ses compères du problème qui tracassait tant Bhob, Lothar finit d’oublier ses déboires. Avant même que la viande, pourtant rôtie à point, ne soit finie, un plan est élaborée pour le soir. Le reste de l’après-midi est passé à se reposer en vue d’une nuit potentiellement agitée.

La nuit venue, alors que les ruelles sombres de la ville basse sont déjà désertes, Ternibel se promène seul, nonchalemment, son allure faisant de lui une victime idéale.

Seul ?… N’exagérons rien. Lénaël, tapi dans l’ombre, le suit de près, et Lothar, invisible, est sur ses traces.

Soudain, à l’angle d’une petite impasse, un groupe de trois personnages, visiblement mal intentionnés, s’avance avec arrogance vers le magicien.

- Eh, Freht, regarde-moi la jolie jupe ! …
- Hinhinhin ! … ricane le second. Wouai, et toutes les jolies petites bourses accrochées à la ceinture …
- Wouai, reprend le troisième, t’as pas peur de te promener tout seul par ici, mon pote ! Alors tu vas nous donner tout ça, si tu veux pas qu’on t’troue l’bide, hein …

Et l’homme de brandir un poignard, bientôt imité par ses deux comparses.

- Pas de problème, répond calmement Ternibel, tout est à vous … Vous n’avez qu’à venir vous servir …
- Ecoutes-moi ça, Dhôn, reprend l’homme qui avait parlé en troisième, après avoir marqué un temps d’arrêt, un peu qu’on va v’nir le chercher, not’dû, et pas plus tard que tout d’suite, wouai, je veux …

Et l’homme, le poignard à la main, d’esquisser un pas vers Ternibel. Il est arrêté instantannément par une volée de petits éclairs de feu issus de la main du magicien, tendue devant lui. Les deux autres brigands, n’ayant pu voir avec précision ce qui s’était passé, se précipitent à l’aide de leur acolyte qui semble avoir des ennuis. Et là …

Lénaël, sortant de l’ombre, intercepte le premier d’entre eux, et le hâche menu. Lothar placé dans le dos de l’agresseur initial de Ternibel, le transperce de par en par, redevenant visible, pendant que le magicien décoche sur le malheureux une seconde salve de petits éclairs de feu.

A cet instant, le troisième brigand s’arrête net, constatant que la proie facile s’est transformée en un redoutable trio de tueurs, et que ses deux compères gisent à terre, morts. Puis, il se retourne et prend ses jambes à son cou.

Pour le stimuler un peu, Lénaël l’interpelle :

- Eh, toi ! Reviens ici … Viens te battre si tu es un homme ! …

Son appel restant, étrangement, sans réponse, il se met à sa poursuite, bientôt suivi de Ternibel. Lothar, lui, a déplié ses ailes, et suit la retraite forcée de l’homme à travers le dédale des ruelles médrilanes. Au sol, les deux poursuivants se font aussi pressants que possible, tout en laissant le fuyard prendre un peu d’avance, tandis que de sa position privilégiée, Lothar peut tranquillement indiquer à Lénaël le meilleur chemin à suivre.

Après quelques manœuvres pour semer ses poursuivants, le rescapé semble prendre une direction différente, un cap auquel il se tient de longues minutes de course durant. Il finit par s’engouffrer dans une vieille maison. Pendant que l’elfe et le magicien rejoignent Lothar, celui-ci a fait le tour des lieux, au moins de l’extérieur. La maison semble franchement inhabitée.

Enfin, nous sommes à nouveau réunis. Après avoir minutieusement observé la vieille demeure à demi délabrée, nous décidons d’y pénétrer, Ternibel restant dans la ruelle pour faire le guet. L’intérieur est aussi désert que l’extérieur. Rapidement, nous découvrons sur le plancher une trappe qui mène à un sous-sol. Une fois descendus, nous nous apercevons qu’en fait de sous-sol, il s’agit plutôt d’une galerie qui relie les caves des maisons de cette ruelle. Nous avançons donc, à la recherche d’une seconde issue, et à l’affût de bruits venant des étages supérieurs. Nous finissons par tomber sur un escalier qui remonte vers une trappe fermée. Nous l’entrebaillons très délicatement, et y jetons un œil et même temps que nous prêtons l’oreille …

Dans la semi pénombre d’une lampe réduite au minimum, deux hommes s’entretiennent.

- Qu’est-ce qui t’prend de v’nir ici asteure, t’es complèt’ment fou ou quoi !? …
- Mais chef, y fallait qu’j’vous dise. On a eu des gros problèmes.
- Quelles sortes de problèmes ?
- Ben, avec Freht et Dhôn, on allait dévaliser un type dans une p’tite ruelle ben tranquille et tout, et pis d’un coup y’a n’a deux autres qui nous sont tombés e’d’ssus. Y z’étaient vâchement trop forts, avec des armes et tout, et le type tout seul, ses doigts y lançaient du feu, et Freht et Dhôn, eh ben y sont morts …
- Et toi, tu t’étonnes pas qu’y t’aient pas tué, interrompt l’autre homme ! …
- Ah ben, j’m’ai sauvé, et pis j’ai couru, couru, couru …
- Ben voyons, et tu les as amenés jusqu’ici, espèce de crétin !!! …

A cette idée, qui visiblement ne lui était pas venu à l’esprit -il ne faut pas trop en demander-, l’homme marque un temps d’arrêt. Puis il se reprend.

- Nan ! J’vous jure. J’suis certain que personne m’a suivi. Y z’ont essayé, mais j’l’ai ai s’mé.
- Que tu dis ! … Bon, écoutes, Berhn, tu recommences jamais ce genre d’imbécilité. Et pis nous, y faut qu’on fiche le camp vite fait. Eteins la lampe !

Nous entendons un souffle, et c’est l’obscurité. Au même moment, un râle étouffé, suivi du bruit sourd de la chûte d’un corps que l’on essaie de retenir, nous informait que des puissances supérieures avaient pré-maturément rappelé à elles le pauvre Berhn.

Nous attendons un peu la suite des évènements, et, alors qu’il ne se passe plus rien depuis quelques minutes, nous finissons par faire irruption dans la pièce. A part le cadavre encore chaud de l’ex-rescapé, elle ne contient rien. L’oiseau s’est envolé … Nous sortons à toute vitesse rejoindre Ternibel, qui n’a vu passer personne ! …

Très rapidement, nous nous répartissons le travail. Ternibel, par les airs, essaiera de localiser l’homme, pendant que Lothar et Lénaël parcoureront les ruelles alentours. Et les trois compères de se séparer.

Ruelle après ruelle, impasse après impasse, Lénaël, pas plus que Lothar, n’arrive à trouver personne. Pendant ce temps, le magicien a repéré un homme qui titube à travers une rue pentue. S’approchant, il finit par l’interpeler et se poser tout près de lui.

- Hola ! Que faites-vous dans les rues à cette heure avancée ?
- Ooeeuuhhh, che croa … hips … che croa keu euh ceu euh, ceu … hips … ceu vin nété tun peuhh euhh euhh … hips … euhh zané tro bu huhuu … hips !
- Vous êtes complètement îvre ! …
- Ooaaahhh, che pa ahhh vré ! … hips …
- Vous n’avez vu personne, par hasard ?
- Euhhhh, burp ! …, atan zin peuhh keu euheuhh … hips … euheuhh chmeuh soufienne … Aaaaahhh ! si, messi euheuhh keujévukékin … hips … euheuhh un tipki hihihhh kimarché danlerre … hips …
- Bon, euh, ça va, rentrez vite chez vous !

Et le magicien de reprendre l’air, pendant que l’ivrogne repart en titubant joyeusement. Le groupe finit par se retrouver, bredouille. Lorsque c’est le tour de Ternibel de détailler un peu ce qu’il a pu voir, Lothar et Lénaël se regardent en silence.

- Répètes un peu, pour voir ? … finit par dire Lothar
- Vous êtes sourds les elfes, ou quoi ! J’ai dit que j’avais juste trouvé un ivrogne dans un triste état qui essayait péniblement de rentrer chez lui.
- Demi, en ce qui me concerne, marque Lothar. Et il était comment ton ivrogne ?
- Laisse tomber Lothar, on ne l’a même pas vu le type qu’on cherche, alors ça ne nous avancera pas à grand chose qu’on te le décrive …
- Un point pour toi ! Mais je n’ai pas fini. Ternibel, l’haleine de ce type était vraiment celle d’un ivrogne complètement imbibé ?…
- Maintenant que tu me le dis, j’ai peut-être un doute … tu sais, moi et l’alcool, on n’est pas très familier …

Et la chasse au pseudo alcoolique est ouverte … Reprenant l’air, accompagné de Lothar qui fouille du regard les ruelles toutes proches, et de Lénaël, resté au sol, qui suit ces étranges oiseaux de nuits grâce aux indications mentales que Lothar lui fournit, Ternibel part à la poursuite de son homme. Nos recherches mettent du temps avant d’aboutir, mais nous finissons par repérer un homme qui se hâte bon train, non sans se retourner fréquemment, dans un petit passage des plus obscurs. Là, enfin, nous lui tombons dessus tous les trois en même temps.

- Dites donc, mon vieux, éphémère cette cuite, non ?
- Ouaahhhh … enkor euheuhh … hips … euh des zomkimarché euheuhh danlerre … hips … commence l’homme
- Toi, tu arrêtes ton cirque, si tu tiens à la vie, coupe Lénaël en dégainant son épée et en la lui mettant sous la gorge.
- Bon, ça va, qu’est-ce que vous me voulez ?
- C’est bien toi qui était avec ce Berhn, tout à l’heure ?
- Peut-être … la lame de Lénaël se fait plus pressante … Voui voui voui, c’est moi, me tuez pas …
- On n’a pas l’intention de te tuer si tu nous dis ce qu’on veut savoir, c’est tout simple. Reprend Lothar.
- Qu’est-ce que vous voulez savoir ?
- Qui est ton hierarchique dans l’organisation ?
- Ben voyons ! Ça m’aurait étonné … Mais si je vous dis ça, je suis mort moi !
- Pas si fort, tu vas réveiller Berhn, hein ?
- De toute façon, si tu ne nous dis pas ça, tu es mort aussi ! Alors autant gagner un peu de temps … continue Lénaël.
- - Tu vois, tu es déjà beaucoup plus raisonnable. On va aller discuter tranquillement dans une petite maison bien calme, où tu pourras nous dire tout ce que tu veux nous dire, sans oreilles indiscrètes.
- Mais j’ai rien à vous dire, moi !
- Dans ce cas, dit Lénaël en levant son épée, …
- Non, c’est bon, c’est bon …

Convaincu, de force, l’homme se laisse mener docilement vers les bâtisses délabrées où son funeste rendez-vous avec Berhn s’était déroulé. Là, non sans mal, Lénaël lui extirpe les renseignements dont nous avons besoin.

- Alors, dis-nous tout ! Ton nom peut-être, d’abord ? …
- Je m’appelle Ahln.
- Bien ! Et qui est au dessus de toi dans l’organisation, Ahln ?
- J’en sais rien, j’vous l’jure, je sais pas qui c’est !
- On te croie, on te croie, calme toi, intervient Lothar.
- Rester calme, rester calme, j’voudrais vous y voir moi … mes prochains pas dans les rues risquent d’être les derniers ! …
- C’est vrai que les rues sont si peu sûres, ajoute Ternibel …
- Continue, reprend Lénaël.
- Tout c’que j’sais, c’est que quand il y a un problème, ou quand je dois recevoir des ordres, on me transmet un message. Mais moi, je ne connais personne d’autre que les gars qui sont, qui étaient, sous moi.
- Ces messages, tu les envoies comment, et tu les reçois comment ?
- Oh, toujours de la même façon ! C’est à l’auberge "Chez Zilfr"
- Ce coupe gorge de la basse ville ! interrompt Lothar …
- Vous connaissez ??? …
- On y est déjà passé, mais nous n’avions pas remarqué son nom !
- Ensuite ? relance Lénaël …
- Y’a pas d’ensuite, vous savez tout. Et moi j’suis un homme mort !
- Ecoutes, tu es encore en vie, pour l’instant. Alors tu vas dormir un peu, et demain, on ira ensemble chez Zilfr, et tu enverras un message à ton chef. D’accord ?
- Je vous en supplie, pas ça, c’est pire qu’une condamnation à mort …
- Tu nous a dit qu’en cas de problème, tu envoyais un message à la personne qui est au dessus de toi, alors, c’est le moment où jamais, non ? …
- Pffhh, ouais … j’ferais c’que vous dites …
- Tu vois …

La fin de la nuit se passe tranquillement, chacun montant la garde à son tour pour veiller sur le sommeil de Ahln. Le soleil levé, nous le laissons partir vers l’auberge, en le suivant à distance. Là, Lénaël, Ternibel et Ahln s’installent ensemble à une table, pendant que Lothar, invisible, veille sur tout ce qui va se passer dans la transmission du message de notre taupe malgré lui.

Après avoir avalé quelques verres de bière, Ahln glisse discrètement sous la chope qu’il remet sur le plateau de la serveuse, un petit papier plié en quatre. Celle-ci fait celle qui n’a rien remarqué, puis, se dirige vers le zinc où officie l’aubergiste, et lui présente son plateau avec la somme qu’ont réglé ces clients. Lui, encaisse le tout, et se saisit également du message, qu’il glisse dans la caisse avec la monnaie.

Lothar, resté après que les trois compères aient quittés l’auberge, attend la suite avec impatience. Elle ne tarde pas trop longtemps, et se présente sous la forme d’une cuisinière, à qui l’aubergiste demande d’aller chercher de l’eau au puits, tout en lui glissant dans la poche, sous l’apparence d’un geste grivois, notre message. La fille sort de l’auberge, et Lothar lui emboite le pas. Au puits, avec une certaine aisance, alors qu’elle manipule le seau et la poulie, elle dissimule le petit carré de papier dans l’interstice de deux pierres de la margelle, avant de retourner à son labeur.

Le voleur s’installe donc, toujours caché aux yeux de tous, dans sa position de guetteur, et informe Lénaël de la situation. L’elfe se dit prêt à le relayer dès qu’il le souhaitera. Puis, l’attente, la pénible attente, qui ne fait que commencer.

Et les heures passent …

La journée entière s’écoule, et toujours rien. A la nuit tombée, Lothar, un peu énervé par cette infructueuse attente, demande à Lénaël de venir le relayer, avant d’aller dormir un peu.

Et les heures défilent, la nuit s’écoule, les étoiles disparaissent avec le ciel qui s’éclaire sous les feux des deux soleils d’Iskmiar, et rien, toujours rien …

Dans la matinée, Lothar vient reprendre sa place, et continuer à guetter, à attendre, en finissant par se demander ce qu’il attendait.

En fin d’après midi, une femme venue puiser de l’eau semble très attentive à qui peut la regarder pendant qu’elle effectue sa tâche, pourtant banale. En l’observant, le demi-elfe la voit déplacer la pierre qui dissimule le message d’Ahln, le glisser dans la poche de sa grande et ample jupe, puis repartir, cahin-caha, avec un lourd seau au bout de chaque bras, vers la haute ville.

Enfin ! le poisson avait mordu, il était grand temps.

Lothar se lève sur le champ, et commence, toujours invisible, à la suivre. Après un parcours sinueux, elle finit par entrer dans une vieille demeure. Le voleur se glisse derrière elle par la porte ouverte. Le temps que la femme pose ses fardeaux et se retourne pour repousser le lourd battant, il a pu commencer à observer les lieux.

Une grande et unique pièce contient une longue table, massive, sur laquelle est posée une soupière et quelques récipients domestiques. Face à la table, une vaste cheminée est occupée par les braises encore rouges de quelques bûches. A l’opposé de la porte, un escalier monte vers un étage. C’est par là que la femme se dirige, Lothar lui emboitant le pas.

Là-haut, une chambre, un lit, un homme visiblement en train de se réveiller. Sans dire un mot, la femme met la main dans sa poche, ressort un petit papier plié en quatre, et le dépose sur la table de chevet de l’homme, puis redescend, bientôt suivie par le bruit de la porte qui se referme.

Au bruit de la lourde porte qui vient s’écraser contre sa serrure, l’homme sort de sa torpeur, met pieds à terre. Il se dirige vers la petite fenêtre qui fait face à son lit, l’ouvre, puis revient poser sur son nez une paire de bésicles. Enfin, il s’empare du message et le déplie, avant de le lire avec attention, et de le rouler en boule.

Redescendu au rez-de-chaussée, pensivement, il jette la boulette dans l’âtre, où elle est prise et consummée sur le champ. Quand il se retourne vers le centre de la pièce, ses yeux s’écarquillent tout grand comme il découvre Lothar, tranquillement attablé, face à lui.

- Qui êtes-vous ! Que faites-vous ici ? Sortez immédiatement de chez moi ! … s’écrie l’homme.

(… Lothar sortant son épée du fourreau et la posant ostensiblement sur la table…)

- Tse tse tse, allons allons, restons calmes. A priori, mon ami, vous êtes en mauvaise posture, alors il va falloir m’expliquer un certain nombre de choses …
- Vous expliquer quoi, et à quel titre ?…
- Le message ?…
- Quel message !?…
- Celui qui finit de se transformer en cendres derrière vous …
- Vous n’avez aucune preuve de quoi que ce soit !
- Je n’ai pas besoin de preuve, dit Lothar.

(… Sur ce, il se saisit de l’épée, et vient prestement en appuyer l’extrémité sur la poitrine de l’homme. Celui-ci, terrifié : …)

- C’est bon, je vous dirai tout. Eh bien voila, Elzevir et moi sommes amants depuis maintenant plusieurs mois, et, pour éviter les soupçons de son mari ô combien désagréable, c’est la femme que vous avez vu sortir d’ici qui nous sert d’intermédiaire lorsque nous avons besoin de nous échanger quelques mots avant de nous retrouver, mais …
- Arrêtes ! Ça suffit … Il va falloir inventer autre chose, parce que ce n’est pas du tout, mais alors pas du tout, le genre de salade que j’ai envie d’entendre. Je veux, je te conseille, dirais-je plutôt, de me parler de l’organisation ! …
- De Quoi ??? …

Il ne savait pourquoi, mais Lothar avait l’inexplicable impression de commettre un impair. A bien y réfléchir, il en était même tout à fait sûr, et en l’espace d’un éclair, la réalité s’imposa à lui.

- LA POCHE !!! …

Comment avait-il pû être aussi négligent ? Comment un détail comme celui-là ne l’avait-il pas marqué ? Comment avait-il pu se laisser abuser de la sorte ? Comment un petit morceau de papier glissé dans la poche droite d’une jupe, là où la porteuse d’eau l’avait effectivement mis, pouvait-il en ressortir par la poche gauche, là d’où elle avait tiré le papier remis à l’homme qui se tenait face à Lothar ? …

Déjà, le voleur était dans la rue, laissant son interlocuteur pantois dos à la cheminée … Il n’y avait qu’une explication à tout cela … un hasard malencontreux, la fatigue, les soleils, …

- Tête d’orc !!! … pensa le demi-elfe en se donnant une grande claque sur le front.

Il ne restait qu’à informer Lénaël et Ternibel de cette brillante réussite, et à essayer autre chose. En quelques minutes, Lothar est de retour à l’auberge, pensif, où il retrouve ses compagnons qui ne ménagent pas leurs sarcasmes. Puis, il est unanimement décidé de continuer à faire le guet près du puits jusqu’à ce que la même occasion ne se présente.

Lénaël y retourne sur le champ.

Et la journée se passe uniformément, sans que quiconque ne vienne déposer ou retirer de message. A la nuit tombée, il est relevé par Lothar. A nouveau, nuit d’attente infructueuse, puis relève de l’elfe, et les journées et les nuits commencent à se succèder sans résultat.

Finalement, après 5 jours et 4 nuits, un message est déposé derrière la pierre branlante. C’est encore Lothar qui est de veille lorsque la porteuse d’eau vient le retirer. Cette fois-ci, il allait l’avoir à l’œil, pas question de se faire berner de façon aussi ridicule qu’involontaire par la première servante venue. La filature ne se révèle pas plus compliquée que la première fois, et le voleur finit par pénétrer à la suite de son guide dans une belle demeure de la haute ville.

Après s’être assuré que le message était le bon, il observe bien le destinataire du dit-message, repère la maison, et rentre enfin à l’auberge avec une piste qui, il l’espérait, permettrait à Bhob d’arriver à ses fin.

En poussant la porte de l’auberge, Lothar découvre, attablés autour d’un rôti et de petits légumes à l’odeur alléchante, Bhob, Lénaël et Ternibel !

- Alors, Lothar, ça y’est t’y c’te foué ? lance Lénaël avec un accent paysan.
- Je crois que oui … Salut Bhob … mais je crois aussi que je vais d’abord goûter à ça …
- Eh bien voila ! … la seconde fois a été la bonne. Le message a été déposé dans une grande maison de la haute ville. Elle a une façade ornée de bas-reliefs, une porte à doubles battants, elle est assez caractéristique, en fait. Son propriétaire, qui a reçu le message en main propre, est un homme bedonnant, avec un collier de barbe, de petits yeux vicieux, et nez aquilin, et, entre autres, une grosse bague à la main.
- Merci Lothar, je vois très bien qui c’est. C’est un marchand richissime, et je suis assez content à l’idée de lui tomber dessus pour éliminer cette organisation.
- Tiens, au fait, Lothar, reprend Lénaël, j’ai une petite idée de ce que devais contenir le message qui a été délivré à cet homme …
- Oui ? … interroge Lothar sur un ton naïf
- Bhob vient de nous dire qu’Ahln avait été poignardé cette nuit. Règlement de comptes …
- Ça ne m’étonne pas vraiment, conclue le voleur.
- Quand à moi, j’ai eu beau chercher et faire chercher des informations sur un traffic possible autour de la manufacture textile dont vous m’avez parlé, je n’ai rien pu remonter. Désolé … Tout ce que je peux faire pour vous, c’est vous indiquer exactement où elle se trouve.
- On fera avec ça. Merci tout de même.

Et le repas de se terminer tranquillement.

Les choses se décantaient doucement. Avec un peu de chance, nous aurions cette après-midi même quelques réponses sur l’épineux problème des blasons que portaient les Sarkaï qui avaient tenté d’assassiner Iazur.

Un peu plus tard dans la journée, nous décidons donc d’aller visiter, pour ne pas dire perquisitionner, la manufacture de textile. Le batiment, quoique vaste, était assez bien dissimulé dans la partie la plus haute de la basse ville, et il était assez difficile d’y accéder par hasard.

Alors que nous nous apprêtons à entrer dans la grande cour du bâtiment, un serviteur de notre aubergiste arrive en courant vers nous, et nous tend un message urgent qui nous a été apporté à l’auberge par un paysan.

Que pouvait-il encore se passer là-bas ? Il devait sûrement être arrivé quelquechose à Iazur. Mais pour l’atteindre, ce qui n’était déjà pas évident étant donné ses récentes compétences, il aurait fallu passer sur les corps d’Aspriz et de Naf, ce qui faisait beaucoup. La double éclipse n’allant pas tarder à se produire, nous ne pouvions tout lacher sur le champ pour rentrer au palais. Nous décidons donc de continuer sur notre lancée, et, dès l’éclipse passée, de nous précipiter vers le palais de cristal bleu.

Nous nous présentons donc à l’entrée de la manufacture, exhibons notre lettre de crédit, et demandons à voir un responsable.

- Qui c’est qui veut m’voir ? lance l’homme, apparemment très autoritaire voire rustre, alors qu’il arrive tout juste devant nous.
- C’est nous ! lui répond Lénaël. Nous sommes envoyés par le Seigneur Karumks (l’elfe lui tend le document) et nous souhaiterions pouvoir examiner la manufacture, les stocks, éventuellement pouvoir interroger quelques personnes …
- Et pis quoi encore, l’interrompt grossièrement l’homme, de quoi j’me mèle ! Vous allez m’fout le camp, pass’qu’ici, c’est moi l’patron, et j’vais pas laisser n’import’qui v’nir fout son nez dans mes affaires !
- Vous ne comprenez pas ! reprend Lénaël avec un mélange d’autorité et de courtoisie, c’est un problème de sécurité. Quelqu’un a réussi à se procurer le type de textile que vous fabriquez et s’en est servi pour une tentative d’assassinat. Vous devez nous laisser entrer pour regarder l’état de vos stocks, voir si, dans votre personnel, il n’y a pas de personnes susceptibles de poser des problèmes, …
- Nan mais c’est pas fini, des fois ! C’est HORS DE QUESTION ! FOUTEZ MOI L’CAMP ! hurle l’homme, dans une colère noire.

Soudain, la luminosité se met à baisser, la température commence à chuter à vue d’œil, … la double éclipse !!! Malgré l’homme qui veut nous chasser à tout prix, nous nous imposons par la force dans le flot des ouvriers qui descend vers des caves, où nous attendons le retour des soleils.

Dès notre sortie, nous courons à l’auberge, récupérons nos affaires, et, avec l’aide de la magie de Ternibel, nous pulvérisons tous les records sur la distance Médrilan - Palais de Cristal Bleu.

Et là …

Définir l’état de crise dans lequel nous retrouvons le palais bleu est au-delà des termes généralement utilisés dans le cadre de la diplomatie. Iazur, malgré son jeune âge, a réussi l’exploit de se mettre à dos la totalité des occupants du chateau, et d’en rendre l’atmosphère insupportable. Nous retrouvons Karumks très soucieux, Sudrank particulièrement embêté, Naf égal à lui même, et Aspriz franchement soulagé de nous voir de retour. Quand à Iazur …

C’est Aspriz qui, avec tact, nous compte ses exploits.

- Ça a commencé, enfin, vraiment commencé …, une bonne semaine après votre depart. Iazur s’ennuyant pas mal, s’est mise en tête de me faire tourner en bourrique. Pendant une semaine, je n’ai pas arrêté de la chercher partout -elle adore le cache cache- de me battre, contraint et forcé, en duel avec elle, et dans quelles conditions …, d’être la cible d’envois divers et variés : poudre de maquillage, récipients, enfin, tout ce qui pouvait se trouver à sa portée. Puis, elle s’est attaquée au reste du chateau, espionnant les courtisants, racontant aux uns les petits secrets des autres, puis les Sarkaïs ! Et c’est là que tout s’est aggravé sérieusement. Cette petite peste a pris l’un de ces hommes en grippe, lui reprochant de ne pas avoir été suffisamment respectueuse à son égard. Dès ce moment, il a été la cible de tous ses tours les plus pendables : du siège qui se déplace quand il veut s’asseoir, aux portes qui se referment au moment où il veut les franchir, en passant par le déplacement désordonné et franchement autonome de son épée. Bien que patient et discipliné, le Sarkaï avait quelques difficultés à ne pas exploser face à Iazur. Alors Karumks a dû intervenir pour lui demander de se calmer, d’arrêter de harceler les courtisants et surtout ce Sarkaï, dont les compagnons commençaient à ne pas apprécier le traitement qu’elle lui faisait subir. Malheureusement, l’intervention du Seigneur n’a fait qu’aggraver les choses, et la donzelle l’a pris de haut … Tant et si bien que la semaine dernière, elle a réussi a échapper à ma surveillance. Je l’ai pourtant retrouvée assez vite, avec l’aide du Gnafis, mais il était déjà trop tard. Elle était en plein duel avec ce Sarkaï, et j’vous jure qu’il n’aurait pas fait bon s’interposer ! Suite à une grosse taquinerie, il lui avait adressé une boule de feu qui s’était heureusement perdue dans les tentures du boudoir où ils s’affrontaient. Il était comme fou, et des éclairs de feu volaient dans tous les coins. Elle, elle se déplaçait tellement vite dans la pièce, qu’il n’arrivait jamais à la toucher, bien que ce soit un vrai combat où il essayait vraiment de la tuer. Et puis l’un de ses éclairs a fini par toucher Iazur à l’épaule. Oh, pas grand chose, juste grillé un peu sa robe ! Alors là … elle s’est arrêtée net, l’a regardé avec des yeux d’une noirceur terrible, et l’a projeté avec une force incroyable contre le mur du boudoir, à l’endroit où il rencontre le plafond. Le pauvre Sarkaï est mort sur le coup …

Depuis, j’ai fait en sorte qu’elle ne sorte pas de sa chambre, où Naf arrive à la contenir, et je vous ai fait envoyer un message à Medrilan. J’ai beaucoup parlé avec le Seigneur Karumks et le Sage Sudrank, et je crois que Iazur devrait partir. Nous devrions partir, discrètement, d’ici pour essayer de la mettre à l’abri ailleurs, parce qu’ici, ce n’est plus possible.

Bien sûr, nous savions que Iazur sortait un peu de l’ordinaire, mais là, elle nous soufflait franchement. Quand au reste …

Partir ? … Evidemment, cela faisait tout de même quelques mois que nous étions là, et nous avions presque fini par oublier la malédiction d’errance et de manipulation qui nous touche.

Partir …


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