Iskmiar - V

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Partir, le fait était désormais acquis. Mais vers où, vers quoi ? Vers le sud, où il restait peut-être des hommes ? Vers l'ouest, pour refranchir les montagnes et nous rapprocher à nouveau des Siisks et des Gnafis ? Vers le nord ou l'est, à l'assaut de terres dont nous ne savions rien ? Et comment se déplacer longtemps dans un monde dont la vie est rythmée par ces terribles doubles éclipses que l'on ne sait pas prévoir ?

Après mûre réflexion, nous décidons de repartir vers Medrilan, où nous attend une certaine manufacture de textile que nous n'avions pu visiter correctement la fois précédente, pour cause de heurts avec l'homme qui en est à la tête, et de retour précipité vers le palais bleu.

Notre petit groupe, composé de Aspriz, Iazur, Naf, Ternibel, Lothar et Lénaël quitte donc Karumks et le palais de cristal bleu. Nos montures font route tranquillement vers Medrilan, que nous atteignons sans encombre, à part deux tentatives de dépouillage avortées, qui se soldent par une franche déroute de nos potentiels agresseurs, aux cris de "des démons ! ... des démons ! ... ", avant même que nous n'ayons eu à sortir nos épées de leurs fourreaux. Notre renommée commençait à nous précéder, excellent ...

A notre arrivée en ville, nous reprenons contact avec Bhob. Nous le retrouvons le soir même à l'auberge qui nous avait accueilli à notre dernier passage. Il est accompagné de l'un de ses assistants, nommé Meylir.

- Décidément, on ne peut plus se passer de vous ... nous assène Bhob avec un petit sourire en coin.
- Eh bien, tu vois, c'est à dire..., nous avons souhaité quitter le palais de Karumks, non que son hospitalité ne soit pas à la hauteur, mais plutôt que le grand air commençait à nous manquer, tu nous connais ... lui répond Lothar, avant de continuer ... et comme Iazur ne voulait pas rester seule, et que notre ami Aspriz tenait absolument à l'accompagner, nous nous sommes dit "pourquoi pas faire un tour à Medrilan, nous y avons une manufacture de textile à finir de visiter, et puis nous pourrions faire une petite surprise à Bhob...". Ça n'est pas plus compliqué que cela, et nous voila ! ...
- Je vois, je vois ! Mais pour la surprise, c'est raté, parce que je savais que vous étiez entrés dans Medrilan avant même que vous ayiez mis les pieds dans cette auberge !... - Félicitations ! l'interrompt Lénaël, de plus en plus efficace. Tu nous impressionnes tous ...
- C'est trop, merci ! répond Bhob, avant de se renfrogner. En fait, les problèmes dont je vous avais fait part lors de votre dernier passage ne font qu'empirer, malgré votre contribution. Je ne sais plus où donner de la tête. A ce propos, je vous présente Meylir, l'un de mes lieutenants. Il pourra vous faciliter la tâche dans vos déplacements.

Notre première impression au sujet de Meylir est assez floue. D'abord, l'homme est assez réservé et en retrait, mais les mouvements rapides de ses yeux trahissent la vivacité de son esprit, et l'attention qu'il porte aux petits détails qui l'entourent. De plus, il émane de lui, ce que confirmera une détection appropriée, une certaine magie, présente sur ses armes et son armure (encore que ce dernier terme ne semble pas très adéquat).

Au matin, tout le groupe décide de se rendre chez Smilan Torok, pour que Iazur rende visite à son père, à l'exception de Lothar et Lénaël qui annoncent leur souhait de ne pas en être. Comme d'habitude, les deux compères suivent le reste du groupe à distance, invisibles, et parviennent sans mal à pénétrer dans la demeure du riche marchand, à la suite de Ternibel, d'Aspriz, de Iazur, de Naf et de Meylir. Nous nous retrouvons tous dans le vaste bureau du maître de céans, où s'étreignent Smilan Torok et sa fille. De grands paravents ont été tirés devant les fenêtres, pourtant gardées, pour masquer l'intérieur de la pièce.

- Je suis bien heureuse de vous revoir, Père.
- Moi aussi, ma fille. Tu m'as manqué... - (Lothar en apparte à Lénaël par leur moyen de communication usuel) Emouvant, non ?...
- C'en est presque trop pour moi ...
- Et que vas tu faire maintenant, Iazur ? lui demande finalement Torok.
- Je crois que je resterais bien ici ... répond t'elle.
- Mais ça, Iazur, intervient Aspriz, tu sais bien que ce n'est pas possible. Nous sommes juste passés pour que tu puisses voir ton père, et il est impossible que tu y restes.
- Vous n'allez tout de même pas l'empêcher de rester chez son père si elle le souhaite ! ... interrompt Torok (le ton monte légèrement)
- Ecoutez, Maître Torok, j'ai été chargé de la sécurité de votre fille. Et c'est justement pour des raisons de sécurité que nous avons été obligés de quitter le palais de cristal bleu.

Et Aspriz d'exposer à Torok des bribes de la prophétie qui concerne sa fille, de lui parler des coïncidences étranges jusqu'aux tentatives d'enlèvement et d'assassinats sur sa personne, avant de conclure sur la nécessité d'une fuite pour mettre Iazur en sécurité.

- Malgré tout cela, croyez bien que voir ma fille disparaître à nouveau m'est très pénible, conclue Torok. Et pour aller où ?
- Justement, reprend Aspriz, nous envisagions d'aller vers le sud. Et je me demandais si, de par vos activités, vous auriez quelques informations qui pourraient nous aider. Est-ce que vous commercez avec le sud ?
- Ecoutez, il y a des choses qui font partie des secrets de la guilde, et c'est le cas des informations de cette nature. Tout ce que je peux vous dire, c'est que nous y avons été, mais que nous n'avons pas de liens commerciaux avec le sud. D'ailleurs, ils ne sont pas vraiment en état de commercer avec nous.
- Ils ? ... en état ? ...
- Oui, continue Torok, en fait, quand les humains sont montés du sud, certains seraient restés en arrière ... je ne peux pas vous dire grand chose de plus ...
- Hum ... et vous ne pourriez pas nous trouver une carte de cette zone, cela nous serait vraiment très utile ...
- Comprenez-moi, tout ceci fait vraiment partie des secrets de la guilde, je ne peux vraiment rien faire de plus pour vous ...

Profitant de cette discussion passionnée, Ternibel se concentre et sonde les pensées superficielles de Torok. Deux semblent le préoccuper au premier point. Elles sont relatives à la joie de retrouver sa fille, mitigée par notre présence, et au désagrément que provoquent toutes nos questions sur l'activité de la guilde.

Heureusement, Aspriz avait au moins réussi à le persuader que Iazur devait inévitablement repartir avec nous. Toutefois, ce n'était pas sans mal que le marchand acceptait la chose. En se résignant, il émet un long soupir et fait signe à Meylir de s'approcher.

- Messieurs, dit Torok en s'adressant à Aspriz,Ternibel et Naf, je vous demanderai de sortir quelques instants car j'aurais quelques mots à dire à ma fille et à Meylir en privé.
- Je suis désolé, lui répond Aspriz, mais je ne sortirai pas. Sachez Monsieur que je veille sur Iazur jour et nuit, et qu'il faudra m'ôter la vie pour qu'il n'en soit plus ainsi.
- Et si Aspriz ne sort pas, alors il n'y a pas de raison pour que moi, je sorte, reprends Ternibel, car c'est le même destin qui nous amène tous à lui, et nous ne devons pas être séparés.
- Soit, admet Torok, visiblement abasourdi par une telle éloquence, vous pouvez assister, mais je vous demanderais simplement de vous tourner pour quelques instants.

Lothar et Lénaël, pouvant profiter de la situation, observent alors le marchand et le voleur se parler à l'aide de ce langage gestuel qu'ils avaient découvert, à leur insu, lors de leur premier passage à Medrilan. Rien de filtrera de leur échange, et bientôt, Iazur, Aspriz, Ternibel, Meylir et Naf sortirons de la maison du maître de la guilde pour retourner à l'auberge. Avant d'en faire de même, les deux compères invisibles procèdent à une fouille en règle de la demeure de Torok, dans l'espoir de trouver des informations liées à l'activité cette damnée guilde, mais il rentreront bredouille à l'auberge.

Là, à table, nous décidons d'aller refaire une petite visite à la manufacture de textile que nous n'avions pu explorer comme nous le souhaitions la dernière fois. Puis, attendant le départ, Lothar a une petite discussion avec Meylir sur la qualité des herboristeries de la ville, et sur ce qu'il pourrait y trouver. Pendant que le voleur des villes et le voleur des champs sont plongés dans cette discussion, Lénaël, avec une grande discrétion, saupoudre la boisson de Meylir, justement, d'herbes supposées diminuer son attention pendant quelques minutes. Quand cela est fait, et que la boisson est absorbée, l'elfe sonne le départ. Lothar prétexte un oubli pour remonter dans sa chambre, annonçant au reste du groupe qu'il le rejoindra sur le chemin de la manufacture.

Sitôt dans sa chambre, Lothar altère à l'aide d'un petit sort innocent l'apparence de son visage, change de vêtements, et repart immédiate-ment à la poursuite de ses compères. Rapidement, il est sur leurs talons. Avec une grande discrètion, il subtilise la dague du côté de Meylir, cette dague dont semblait provenir un rayonnement magique assez inhabituel par rapport à ce que nous avions rencontré sur Iskmiar. Son larcin opéré, sur une victime qui ne s'était aperçu de rien, il repart vers l'auberge en signalant mentalement à Lénaël que l'affaire était dans le sac, et qu'il pouvait venir le rejoindre en vitesse.

Quelques minutes plus tard, les deux compères sont à nouveau réunis dans la chambre de Lothar.

- Alors ? fait Lénaël ...
- Voila la bête, si tu veux y jeter un œil. Elle a l'air plutôt rustique à priori.
- Je suis d'accord sur le terme. Mais, il y a de la magie là-dessous, ça ce sent.
- Y'en a, c'est sûr. Je vais essayer d'en savoir un peu plus ...

... et Lothar de se concentrer, de marmonner quelques mots en bougeant un peu ses doigts ...

- C'est fort, mais on ne détecte rien de particulier. Je crois que sans Ternibel, on aura beaucoup de mal à en apprendre plus sur cette chose. On ferait mieux d'aller retrouver les autres.

Finalement, bien déçus, ils repartent tous deux vers le groupe qui a, pendant ce temps, atteint la manufacture de textile.

Aspriz, Ternibel, Meylir, Iazur et Naf ont franchi avec succès, tact et autorité, le barrage sur lequel Lothar et Lénaël avaient échoués lors de leur dernière visite, et sont attablés devant les livres de compte, lorsqu'un homme vient dire quelques mots à l'oreille du cerbère de la manufacture.

- On me dit qu'il y a à l'entrée deux personnes qui se disent appartenir à votre groupe ...
- C'est exact, répond Aspriz avec l'étrange sensation qu'il agace l'homme au plus haut point, cela doit être nos deux compagnons qui étaient en retrait, Lothar et Lénaël. Laissez-les rentrer.

... et l'homme de faire un signe de tête à son subordonné, qui redescend la volée de marche qui le séparent de l'entrée ...

Et bientôt, les deux compères aux oreilles pointues ont rejoint le reste de la bande, où Aspriz leur fait un bref compte-rendu. Puis, les choses s'accélèrent un peu. Lothar rend avec ostentation sa dague à Meylir, en lui expliquant qu'il l'avait trouvée au sol en venant le rejoindre. Au même moment, pour faire monter la pression, Ternibel, passe avec une insistance certaine un doigt mouillé sur une ligne d'un livre de compte. L'encre de celui-ci ne résistera pas à l'immense puissance du magicien et se met immédiatement à baver.

Le responsable des lieux ayant été mis au courant des motifs de notre visite, commence à se sentir mal à l'aise.

- C'est étrange, je ne comprends pas d'où cela peut venir, les livres sont tenus par un professionnel, et je n'ai jamais remarqué ce genre de bavure ...
- Ce pourrait être la trace d'une anomalie dans votre stock, peut-être ? suggère diplomatiquement Aspriz.

L'homme semble de plus en plus agacé par notre présence, et finit par se lancer dans une grande explication , non sans quelques hésitations.

- ... Non ... ce n'est pas possible ...

Et de nous expliquer qu'aucune fraude ni contrefaçon n'était possible, du fait d'un procédé de fabrication unique qui reside à la fois dans le tissage de motifs très complexes et inreproductibles et dans les bains de teintures dont la composition est secrète, chaque chateau ayant ses variantes en termes de motifs et de couleur.

De plus, les chateaux étant les seuls habilités à passer commande, et envoyant pour chaque livraison de textile un groupe dans une tenue adequate, il était impossible qu'une commande provienne d'ailleurs que d'un chateau, et que les rouleaux de textile commandés soient livrés à quelqu'un d'autre que le commanditaire.

Cela avait l'air imparable ...

Par acquis de conscience, nous continuons à examiner les livres de comptes. Ils détaillent les commandes et les livraisons effectuées aux Sarkaïs du chateau bleu. Meylir finit par remarquer que les volumes de textiles livrés sont assez conséquents, de quoi suffire à approxima-tivement trois fois plus de Sarkaïs qu'il n'y en a dans le palais bleu.

Mais nous resterons sur notre faim. Nous rentrons finalement à l' auberge, épuisé par ces fouilles, et nous dinons avec Bhob, non sans quitter le sujet épineux de ce trafic de textile, des Sarkaïs, et des liens entre les armuriers de Medrilan et les Sarkaïs des trois chateaux. Au fil de la soirée, Lénaël glisse une idée lumineuse à l'oreille de Lothar :

- Je pense à une petite chose ... on pourrait voir si les volumes de livraison sont aussi anormaux pour les deux autres chateaux ...

Le lendemain matin, nous sommes de nouveau à la manufacture, sous l'œil de plus en plus crispé de notre hôte. Nous redemandons à voir les livres de comptes. Mais cette fois, nous détournons son attention pour nous plonger dans les livres des chateaux rouge et vert, pour lesquels nous ne sommes bien évidemment pas autorisés à faire la moindre recherche ... Et là, nous nous apercevons que les volumes sont de même nature pour les Sarkaïs des trois palais de cristal, mais qu'il n'en est rien pour les Ankaïs ...

Voila de nouveaux détails intéressants, mais qui ne nous éclairaient guère pour le moment. Plus tard, sans doute ? ...

A l'auberge, Naf nous apprend qu'il a détecté à nouveau les quatres zones opaques, deux sont au nord de la ville, une petite et une grande, et deux au sud, une petite et une grande. Après concertation, Ternibel et Lothar se désignent pour aller y jeter un œil. Lénaël et Meylir décident d'aller se défouler en ville en appâtant de pauvre brigands avant de les hâcher menu. C'est Meylir qui jouera la chèvre. Malheureusement, une certaine maladresse ajoutée à la promptitude de ses agresseurs manquera de lui couter la vie, et Lénaël ne lui évitera le pire que de justesse, avant de le ramener avec une épaule démolie et des ecchymoses multiples chez l'apothicaire de la guilde.

Pendant ce temps, Ternibel a téléporté Lothar dans la forêt, à proximité de la "petite tache" repérée par Naf, et l'a aussitôt rejoint. Ils progressent quelques temps sur un petit sentier, sans rien remarquer de particulier. Après quelques lieues, les deux compères trouvent au bord de se petit chemin une cabane de bucheron, dont la cheminée laisse échapper un petit filet bleuté.

En s'approchant, invisible, Lothar peut jeter un œil par une fenêtre. L'intérieur est assez fruste, sol en terre battu, rien aux murs. Dans un coin, un homme à l'allure de bucheron est posté devant un grand chau-dron. A bien y réflechir, le voleur est quelque peu étonné de ne pas voir de hache, pas plus que de bois coupé.

La proximité de ces deux étranges zones opaques et la nervosité qui nous a tous gagné ces dernières semaines font que Lothar hésite à deux fois avant d'entreprendre une action d'éclat. Finalement, d'un coup d'ailes, il vient obstruer la cheminée à l'aide de son petit sac de route, afin d'enfumer l'intérieur de cette cabane. Très vite, la porte tout de guingois de la cahute s'ouvre, laissant échapper une épaisse fumée.

L'occupant est vite dehors, et fait un rapide tour de son habitation à la recherche de ce qui pouvait lui causer ce désagrément. Lorsque la petite porte de bois se referme, le sac de Lothar s'est volatilisé, avec la longueur de corde elfique qu'il contenait ...

Voila qui perturbait de plus en plus Lothar. Un homme à l'allure rustre, vétu d'une vieille tunique bleue passée, seul au milieu d'une forêt, sur une zone qui semble opaque à un gnafis mentaliste, vit comme un bucheron sans hache à portée de main, sans couper de bois, et est capable de faire disparaître un sac de route coincé dans sa cheminée sans se poser de questions ...

Complètement absurde ! ...

A moins que ...

Bleue ! ... une vieille tunique bleue ...

Non ! C'est encore plus absurde... Cette histoire de magiciens bleus date de plusieurs milliers d'années. Encore que ...

Finalement, un peu fébrile à l'idée d'un face à face avec une légende vivante, Lothar demande à Ternibel de le renvoyer à Medrilan, où ils se retrouvent bientôt tous deux à l'auberge, dans leur chambre.

Pendant le temps de cette escapade, les sentinelles postées par Meylir l'ont informé qu'un groupe de Sarkaïs en provenance du palais de cristal vert était venu prendre livraison de rouleaux de textile à la manufacture. De plus, Aspriz a profité de la pause qui lui a été accordée pour soulever l'intéressante idée selon laquelle le volume anormal de textile produit pourrait correspondre aux deux autres palais de cristal, ceux qui ne sont pas les destinataires de la commande ...

A la manufacture, trois chariots sur chacun desquels sont juchés cinq Sarkaïs vêtus de vert, sont en cours de chargement avec des rouleaux de textile vert. Jusque là, tout nous semble normal.

Nous prenons des montures, et nous partons tous à leur suite, alors qu'ils franchissent la porte Nord de Medrilan, non sans que Jeri, la fouine de Lothar, et Tom, la souris de Lénaël, se soient confortablement installées dans ces chariots. Après trois jours d'une sage poursuite à distance, Naf nous informe que les deux grosses taches sont très proches de nous, et que visiblement, elles ont "l'air de nous suivre".

Nous décidons de retourner à Medrilan sur le champ, pour y mettre Iazur en sécurité, et nous rappelons nos familiers. A notre grande surpri-se, lorsqu'ils nous rattrapent, ils n'arrivent pas du nord, la direction du chateau de cristal vert, comme nous l'attendions, mais de l'est ...

Les chariots avaient dus se séparer à notre insu, protégés par un enchantement quelconque, enfin, ... pas si quelconque que ça. Nous avions visiblement été abusés. Mais les choses n'allaient sûrement pas en rester là ! Nous renvoyons Aspriz, Iazur, Meylir et Naf vers la ville, et nous lançons dans une poursuite effrénée pour rattraper l'un de ces chariots, dans la direction indiquée par nos familiers. Nous le rattrapons le sur-lendemain et constatons avec stupeur que les cinq Sarkaï verts qui accompagnent ce convoi sont devenus rouges, comme nous avions commencé à le deviner au vu de la direction prise par le chariot : nous n'étions plus qu'à trois jours du palais de cristal rouge, et il ne faisait plus aucun doute de la destination de la marchandise.

Nous décidons donc de les embusquer la nuit venue afin d'obtenir des explications sur cette machination qui avait failli, il y a maintenant quelques semaines, couter la vie à Iazur.

Au cœur de la nuit, à l'orée de la forêt, le campement des cinq Sarkaïs est légèrement éclairé par les braises d'un feu en train de mourir. Deux des magiciens-guerriers dorment dans des couvertures, pendant que trois autres montent la garde avec un grand professionnalisme : les deux premiers observent dans deux directions opposées, pendant que le dernier tourne autour du campement avec régularité.

Très impressionnant. Mais cela n'allait sûrement pas suffire à nous arrêter.

Lothar est tapi à distance, à la limite des fourrés, arc bandé. Ternibel est prêt, un peu plus loin, et sous un autre angle, à ouvrir le feu sur une victime potentielle, attendant le signal de l'assaut que Lénaël n'allait pas tarder à déclencher.

Lénaël, enfin, se rend invisible et s'avance inperceptiblement vers le centre du campement, pour se placer dans le dos du Sarkaï qui, sans le savoir, et à une bonne quinzaine de mètres, nous fait face.

Et soudain, l'attaque de Lénaël est foudroyante ...En une fraction de seconde, la sentinelle la plus proche du foyer est décervellée, et celle qui était mobile a été gratifiée d'une redoutable attaque au torse, qui l'a laissée chancelante.

Au même instant, Lothar lache son trait qui vient se planter dans la gorge du malheureux, qui s'écroule aux pieds de Lénaël, redevenu visible.

Dans une semi-conscience où le temps ne se déroule qu'au ralenti, Ternibel voit alors avec terreur le Sarkaï à la droite du feu, pourtant endormi, se redresser avec une raideur mécanique, regarder une fraction de seconde dans sa direction, et décocher instantannément une triade de feu, sort d'une épouvantable efficacité témoignant de la puissance du Sarkaï, qui se dirige vers le magicien paralysé par la stupeur.

L'issue ne faisait guère de doute, quand la lucidité de Ternibel lui revient, et qu'il force son esprit à ne pas voir ce qui était impossible, tout en commençant à préparer des éclairs de feu.

Dans les quelques instants qui suivent cette explosion de violence, les deux dormeurs se sont réveillé, et forment un triangle de survie au dos de leur compagnon juché sur le chariot. Là ils commencent à s'en prendre à Lénaël avec leurs épées.

Pendant quelques dizaines de secondes qui semblent une éternité au grand elfe, occupé à parer les redoutables attaques de ces guerriers somme toute très compétents, les flèches de Lothar vont alterner avec les éclairs de feu de Ternibel, qui font mouche à chaque fois, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus qu'un survivant, bien que quelque peu brûlé et entaillé de partout, le Sarkaï du chariot.

Le rescapé est bailloné et ficellé le plus solidement possible, et le reste de la nuit se passe au rythme de tours de garde bien pesants. Au matin, nous effaçons les traces de notre passage, et nous recupérons les armures des Sarkaïs qui ne sont pas trop endommagées. Au total, nous nous accaparons deux tuniques bleues et deux tuniques vertes. Lothar a pris possession de l'épée du Sarkaï qui avait tant impressionné Ternibel, qui semble d'une excellente facture et est "visiblement" dotée d'un petit plus, et a fait un petit stock des quatre lames prélevées sur ses quatres compagnons, et qui sont elles aussi de superbes armes.

Puis, Ternibel téléporte Lothar vers l'auberge, bientôt suivi du Sarkaï, avant de rejoindre les deux voyageurs. Quant à Lénaël, il s'est chargé de ramener les montures à Medrilan, en prenant bien soin de contourner la ville et d'y entrer par la porte est afin d'éviter ces taches si tenaces ...

Pendant ce temps, Naf et le reste du groupe est revenu dans la ville. Mais à peine leur retraite avait-t'elle débutée, que la gnafis s'était rendu compte que les deux grosses taches avaient changé de direction, et revenaient sur leurs pas, convergeant vers Medrilan aux trousses de Iazur. Bientôt, les deux taches voyagent côte à côte, s'ignorant ? à la poursuite d'un but commun.

Sitôt arrivé, Aspriz rédige un message qu'il fait adresser à Karumks par l'un des homme de Bhob les plus sûrs, avec pour consigne de ne le remettre qu'en main propre à Karumks, Elinia ou Sudrank.

Mon Seigneur,

C'est depuis Medrilan que je vous informe par cette missive. Quelques éléments commencent à s'éclaircir. Il se pourrait fortement que les zones opaques que le Gnafis avait repérées depuis le chateau soient des boucliers mentaux créés par les deux magiciens bleus des légendes.

De plus, en enquêtant sur la tentative de meurtre sur la personne de la damoiselle Iazur, fille de Smilan Torok, nous avons mis la main sur un étrange manœuvre des Sarkaïs des trois palais. Il semblerait qu'il existe une forte connivence entre eux, et que chacun de ces groupes possède des tuniques de la couleur des deux autres chateaux auxquels il n'appartient pas. Nous vous informerons au plus tôt de tout élément venant éclaircir ces interrogations.

Votre très dévoué Capitaine des Gardes.

Aspriz Traknar

Bientôt, Lothar a rejoint le groupe à l'auberge par des moyens peu naturels, et s'empresse de demander à Meylir de le provisionner en herbes hallucinogènes et autres potions hypnotiques qui allaient servir à soumettre le Sarkaï à la question, avant de résumer brièvement la situation à ses compagnons ébahis.

Dans l'après-midi, les substances sont réunies, et Lothar, Lénaël, Ternibel et Naf entourent le Sarkaï de leur présence chaleureuse :

- Ça va ? ... Nous aurions quelques petites questions à vous poser, commence Lénaël ...
- ...
- Cela concerne ce trafic de tuniques aux couleurs des trois chateaux que vous effectuez.
- Les affaires des Sarkaïs ne vous regardent pas, réagit enfin le prisonnier.
- Justement, si, un peu... Il y a quelques semaines, des Sarkaïs équipés de tenues appartenant aux trois chateaux ont essayé de tuer une personne sous la protection du Seigneur du chateau bleu.
- Ce ne peut pas être des Sarkaïs ! réagit le prisonnier à nouveau.
- C'est vous qui le dites ! Etant donné ce que nous venons de découvrir, il va falloir nous dire la raison d'être de ce trafic.
- Jamais de la vie. Plutôt mourir ... De toute façon, les meurtriers ici, c'est plutôt vous. Vous avez tué quatre Sarkaï, et l'un de ceux là était membre du septième tétraèdre. Croyez-moi, cela pourrait faire du bruit ...

Et Lénaël de lui faire avaler une forte dose d'un mélange hypnotico-hallucinogène.

Plus tard ...

- Allez, on reprend. Comment-t'appelles-tu ? lance pour la énième fois Lothar.
- Mon ... nom ... est ... Tremin ... Narimias ... anonne l'homme avec difficulté.
- D'où viens-tu ?
- Je ... suis ... Sarkaï ... du ... quatrième ... tétraèdre ... au ... palais ... de ... cristal ... vert ...
- Pourquoi prenais-tu livraison de rouleaux de textile rouge en portant toi-même une tunique de couleur rouge, si tu viens du chateau vert ?
- Pas ... votre ... affaire ...
- ...

Après plusieurs heures de discussions et de discours incohérents sous l'effet des drogues, nous finissons par lacher prise, laissant à Naf le soin d'extirper au prisonnier les informations qui nous intéressent. Malheureusement, le gnafis ne connaitra pas plus de succès que nous malgré la plus grande puissance des méthodes qu'il utilisera, la barrière mentale de l'homme se refusant à céder.

En ville, les rumeurs, apparemment venues de l'extérieur, et visant à nous faire passer pour des démons, courent de plus belle, propageant maintenant avec elles des descriptions de nos personnes de plus en plus précises. Pour essayer de temporiser avec ce problème, Meylir tente de faire propager par des hommes à lui, une contre-rumeur. Puis, afin d'obtenir quelques renseignements supplémentaires sur ces zones opaques, il envoie une petite unité d'éclaireurs vers le nord, à la limite du triangle défini par les trois chateaux et sur laquelle semblent buter ces taches.

Alors que nous attendons des informations de ces éclaireurs, au cours d'une simple promenade en ville, nous nous apercevons que nous sommes filés. Au même moment, Lénaël ressent de très violents maux de tête, traduisant une attaque mentaliste sur sa personne. Malheureusement, nous ne serons pas en mesure de les affronter directement car nos agresseurs se disperseront pour chercher à nous disperser, le désir de sauvegarder le peu de notre image qui pouvait encore l'être faisant le reste.

Un messager de Karumks nous informe quelques jours plus tard que le seigneur du chateau bleu a bien pris connaissance du rapport d'Aspriz. Mais des éclaireurs de Meylir, nous n'avons toujours pas de nouvelles.

Finalement, après avoir essayé de convaincre notre Sarkaï, toujours prisonnier et toujours aussi incrédule des évènements auxquels nous sommes mélés, ainsi que de la nécessité de prendre une décision rapide étant donné le danger à nos portes, nous décidons d'y aller voir nous même ce qu'il en est, et de l'amener avec nous afin qu'il soit persuadé une fois pour toute de la véracité de nos dires. Ternibel téléporte Lénaël à la limite nord du triangle, là où les taches étaient à proximité, puis téléporte le malheureux Sarkaï, toujours baillonné, avant de se rendre lui même sur place par le même moyen.

- Eh bien nous y voila ! lance Ternibel en prenant pied non loin de Lénaël.
- Oui ... euh ... tu ne crois pas que tu as oublié quelque chose ? ...
- De quoi parles tu ? ... s'étonne le magicien
- Tu étais sensé téléporter le Sarkaï avant de venir nous rejoindre, tu te souviens ... ironise Lénaël, moqueur.
- Tu veux dire que ...
- Ne me dis pas que tu l'as perdu !
- Euh ... c'est à dire que ... logiquement, il ne doit pas être très loin, enfin ... euh ... normalement ...

Finalement, le Sarkaï avait dévié quelque peu de la trajectoire idéale, et les deux compères le retrouveront un peu sonné, au pied d'un gros arbre. A pied, il se dirigent alors vers l'une des deux zones couvertes par les taches. Et là ...

- Tu vois ce campement, ces dizaines de tentes ? lance Lénaël d'une voix ferme.
- Ou ... oui ... hésite le Sarkaï
- Et ces centaines de petits gnomes qui ressemblent à s'y méprendre à Naf, tu sais, le gnafis qui nous accompagne, tu les vois aussi ? continue Ternibel
- Oui, je les vois ...
- Alors quand nous disions que ces taches représentaient un danger important, parce qu'elles signifient que les magiciens bleus des légendes ...
- Tu sais, interrompt Lénaël, ces vieilles histoires pour les enfants qui parlent de choses qui n'ont jamais existées ...
- des légendes, reprend le magicien, sont à nos portes, à vos portes, et qu'il serait temps de prendre cette histoire au sérieux sans se contenter de répondre à nos questions des "... pas votre affaire ..." à longueur de journée. Parce que le sécurité de Iazur, c'est celle de votre cité et de vos chateaux.
- ...

Mais, ne laissant pas les choses là, les Lénaël et Ternibel trainent à nouveau le Sarkaï jusqu'à la tache jumelle. Et là encore ...

- Et là, que vois-tu ? interroge Ternibel.
- Je ... je ne sais pas ...
- Eh bien, enchaine Lénaël, après les gnafis, maintenant tu pourras dire que tu as vu des siisks. Et ils sont au moins aussi nombreux, et aussi dangereux que leurs petits frères tous gris que tu viens d'observer.
- ...
- Je crois qu'il est temps que tu ailles faire un rapport détaillé à qui de droit ...

Et Ternibel téléporta le malheureux Tremin Narimias à proximité du palais de cristal bleu, le seul dont il connaissait suffisamment bien les environs, avant de rentrer par le même moyen à l'auberge de Medrilan en compagnie de Lénaël.

Là, ils retrouvent Lothar, Aspriz, Naf et Iazur, Meylir ayant repris son activité quotidienne, et attendent ensemble que quelque évènement nouveau leur permette de décanter cette situation.


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