Le piège

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Aux confins des royaumes d’Ilmiora et de Vilmir, entre Ilmar et Baakshan, se dressent les remparts de la cîté de Ksiarn. Derrière ses murailles crénelées, on ressent plus la douceur de vivre et la richesse des commerçants d’Ilmiora, que la rigueur de Vilmir et de ses prêtres de la Loi.

A Ksiarn, comme dans beaucoup d’autres villes des Jeunes Royaumes, de grandes affiches sont placardées un peu partout.

Osez affronter les plus grands héros des Jeunes Royaumes ! Venez à Ksiarn relever le défi de l'Epreuve des Champions et peut-être remporterez-vous votre poids en Grandes Bronzes !

Cette épreuve, organisée tous les ans à l’automne par le Royaume de Vilmir, a vocation à attirer les meilleurs guerriers du continent pour tenter de restaurer la gloire passée de Vilmir.

Et année après année, l’épreuve est devenue festivités. Non seulement elle attire de plus en plus d’hommes forts, mais elle est de plus en plus fréquentée par des spectateurs -certains venus pour les loisirs, d’autres, nobles, pour recruter des bras armés-, ainsi que par des marchands en tous genres, des taverniers ambulants, des filles de joie, des bateleurs, ... bref, tout ce qui fait une grande foire et qui garantit qu’une fois la nuit tombée et les épreuves du jour clôturées, l’ambiance est chaude.

A quelques lieues de la cité, au nord-est des remparts, un vaste campement est installé. A cette distance, la ville est encore proche, mais elle est à l’abri des débordements nocturnes qui ne manquent pas de se produire chaque année.

Des centaines de tentes multicolores s’étalent sur une impressionnante surface. Quelques cabanes, construites en bois et peintes elles aussi de couleurs vives sont posées par endroits. La bière et l’excitation des joutes à venir sont plus fortes que la garde de Ksiarn qui patrouille un peu partout et qui ne peut empêcher des rixes d’éclater pour un rien, à tout moment.

Au milieu de cet immense capharnaüm, un semblant d’ordre, relatif, semble régner sur une petite zone. Au coeur de cette zone, une table massive trône sur une estrade. De part et d’autre de la table, une escadre de la garde de Ksiarn est postée. Assis derrière la table, seul, un sergent recruteur au physique impressionnant toise une meute de candidats avec dédain et autorité, leur faisant signe de s’avancer, un par un, avant de les soumettre à quelques questions lapidaires et d’enregistrer leur participation d’un air revêche sur un parchemin.

Dans la foule de candidats, un petit groupe de cinq combattants qui ne se connaissaient pas quelques temps plus tôt a commencé à échanger. Ils se nomment Hrok et Kraw Yhon, deux frères originaires du Désert des Larmes, des guerriers imposants portant heaume et hache lormyrrienne, Yoolkas, un sorcier à l’apparence chétive, et Vualrikh, un voleur de Filkhar.

- SUIVANT, hurle le sergent.

Hrok s’avance.

- TON NOM ?
- Hrok Yhon
- ÂGE ?
- 23 ans
- PROFESSION ?

Hrok hésite quelques instants avant de répondre. Ce bref moment de flottement est intercepté par le sergent, qui, sans le regarder, répète d’un ton qui ne peut dissimuler l’impatience.

- PROFESSION ??
- Mercenaire.

Le sergent lève à nouveau la tête vers lui, lui lançant un regard dédaigneux. Puis il lui fait signe de tremper son doigt dans un encrier, et d’apposer son empreinte à côté de son nom, sur le parchemin. Avant même que Hrok ait quitté l’estrade, le sergent hurle déjà :

- DEMAIN 7 HEURES. SUIVANT !

Kraw s’avance à son tour.

- TON NOM ?
- Kraw Yhon
- ÂGE ?
- 24 ans
- PROFESSION ?

Kraw ne lui laisse pas le temps de réagir comme avec son frère, et lui répond instantanément.

- Mercenaire.

Le sergent fait la moue sans même lever la tête, puis lui montre l’encrier. Parchemin. Empreinte. Sortie.

- DEMAIN 7 HEURES. SUIVANT ! TON NOM ?
- Yoolkas
- ÂGE ?
- 26 ans
- PROFESSION ?
- Prêtre

Ce n’était pas faux. Yoolkas était prêtre, prêtre de Grome, le Seigneur des élémentaires de Terre, précisément. Mais il y avait quelques détails qui étaient plus marquants que sa profession. La paire d’ailes qu’il avait dans le dos par exemple. Ce n’était pas étonnant pour un descendant du peuple de Myrrhyn.

Encrier. Parchemin. Empreinte. Sortie.

- DEMAIN 7 HEURES. SUIVANT ! TON NOM ?
- Vualrikh
- ÂGE ?
- 25 ans
- PROFESSION ?
- Aventurier.
- DEMAIN 7 HEURES. SUIVANT !

La véritable profession de Vualrikh n’était pas tout à fait conforme cet énoncé. Vualrikh était certes un aventurier dans l’âme, mais son véritable savoir-faire résidait plutôt dans sa capacité à s’introduire discrètement dans des lieux où il n’était pas invité, ou encore à passer outre les protections dont bénéficiaient certains objets placés à l’abri de la convoitise des humains.

Et il le faisait plutôt bien ...

Les formalités d’inscription à l’Epreuve des Champions étant réglées, le petit groupe peut profiter de l’animation avant le début des épreuves, le lendemain à l’aube.

Rapidement, en discutant avec des marchands, des spectateurs ou des parieurs, un nom revient dans la conversation. Dorak. Un géant barbu d’Argimiliar, réputé pour être le meilleur chasseur de son peuple. C’est lui le grand favori de l’Epreuve de cette année.

Après avoir déambulé pendant près d’une heure entre des étals de marchands, des jongleurs, des tribuns qui haranguent la foule, d’autres candidats, des stands de cuisines itinérants, et d’autres improbabilités, ils finissent par se retrouver à l’entrée d’une construction colorée et toute aussi improbable, devant laquelle un homme, richement habillé, incite les passants à franchir le pas de porte.

Les quatre compères entrent.

Une hôtesse fort avenante les accueille.

- Bonjour Messieurs ! Bienvenue dans la Demeure des Aléas de Baler. Vous n’allez pas regretter votre visite. Nous n’étions pas là hier, et nous ne serons plus là demain. Vous allez pouvoir tenter votre chance à des jeux grâce auxquels vous allez ressortir d’ici plus riche ou plus puissant que vous n’êtes rentrés ... ou peut-être un peu moins ? Ce sera selon votre talent et votre destinée.
- Quels sont ces jeux ? Et que pouvons nous y gagner ? Lui demande Yoolkas.
- Eh bien, vous avez le choix entre trois jeux. Le premier est un jeu de hasard, et il pourra vous arriver n’importe quoi, puisque le hasard est à l’oeuvre !
- Le hasard, le hasard, autant dire le Chaos ... Glisse discrètement Vualrikh à Kraw.
- Oui, répond Kraw. Je vais éviter le premier aussi ...
- Le second est un combat, et vous pourrez devenir plus puissant. Le troisième est un jeu de réflexes. Il pourra vous permettre de vous enrichir. Alors, Messieurs, Que choisissez vous ?

Il ne faut pas longtemps pour s’accorder sur un choix : le troisième jeu, probablement le moins dangereux, au moins présenté comme tel, faisait l’unanimité. L’hôtesse pousse une porte et incite le petit groupe à s’avancer à l’intérieur d’une vaste salle.

De l’entrée, on distingue deux rangées de cinq piédestaux octogonaux qui se font face, distants d’une cinquantaine de mètres. Sur chaque piédestal de la rangée de droite, se tient une statue colorée, dotée d’une arme.

La première statue est noire, et est armée d’une fronde. La seconde est bleue, et tient un arc. La troisième est verte et brandit un javelot. La quatrième est rouge, et a un arc du désert, alors que la dernière est blanche et a un arc de Melniboné.

Les piédestaux de la rangée de gauche, eux, sont vides.

- La règle du jeu est simple, reprend l’hôtesse. Vous choisissez l’adversaire que vous voulez affronter. Vous disposerez de la même arme que lui. Si vous réussissez à le toucher avant qu’il ne vous touche, vous gagnez. Attention, si vous quittez le piédestal, vous avez perdu dans tous les cas.
- Cela parait simple, en effet. Dit Hrock. Et dans le cas contraire ?
- Dans le cas contraire ? Vous perdez ... Répond l’hôtesse.
- Et ... on perd quoi ? tente Vualrikh.
- Hum ... pas grand chose à par votre temps, en fait !
- Alors n’en perdons pas plus. Je vais choisir ... la statue verte !

Vualrikh s’avance vers la rangée de gauche, et se poste sur le piédestal qui fait face à la statue verte. Au même instant, un javelot se matérialise dans sa main. Il n’hésite pas longtemps et le propulse vers la statue. Le projectile fuse dans l’air avec un sifflement. En face de lui, la statue s’est animée, et vient de lancer son javelot dans sa direction.

Alors que celui de Vualrikh vient se planter à quelques pieds de la statue, le voleur ne peut éviter celui qui lui est destiné. Au moment où le javelot le touche, l’arme disparaît, comme transformée en un mince filet de fumée.

Perdu.

Vualrikh redescend de son piédestal, déçu, et se dirige vers ses trois compères.

Yoolkas s’avance.

- A moi. Je choisis la statue bleue !

Il se poste sur le second piédestal. Un arc apparaît instantanément dans sa main. Le prêtre de Grôme le pointe sur la statue qui lui fait face, et décoche une flèche. Avant même qu’elle n’ait atteint sa cible, la statue a riposté.

Les deux flèches se croisent, mais celle de Yoolkas, moins précise et moins rapide, vole au-dessus de l’épaule de son adversaire alors que la flèche bleue vient se ficher dans son abdomen, avant de se transformer en filet de fumée et de se dissiper, comme celle qui avait touchée Vualrikh.

Perdu.

C’est au tour de Kraw, qui choisit la statue rouge et son arc du désert. Il se retrouve sur le champ doté de la même arme.

Il glisse deux flèches entre ses doigts, et tire la première sur son adversaire. Dans le même instant, la statue rouge avait envoyé sa propre flèche. Celle de Kraw file au-dessus de l’épaule de la statue, alors jqu’il réussit à éviter celle qui lui était destinée. A peine le temps de se stabiliser, et il décoche un second trait. La statue en fait de même.

Au moment précis où sa flèche vient s’écraser sur le thorax de la statue, un tintement cristallin retentit, et l’arc que tenait Kraw disparaît, remplacé sans sa main par un rubis de belle taille. Une fraction de seconde plus tard, la flèche tirée par la statue l’atteint au bras, avant, comme pour ses prédécesseurs, de se dissiper sous forme de fumée.

C’est au tour de Hrok de s’avancer. Il choisit la statue la plus lointaine, armée d’un arc de Melniboné.

L’échange de projectiles est d’une célérité incroyable. La statue et Hrok semblent touchés en même temps par leurs projectiles respectifs. Semblent, seulement. Le même tintement cristallin retentit. Et la main de Hrok brandit bientôt un diamant en lieu et place d’un arc.

Même si tous n’y avaient pas trouvé leur compte, ce premier jeu avait déjà fait des heureux et avait mis en appétit les quatre compères.

- Voulez-vous continuer ? Leur demande l’hôtesse.
- Ma foi oui ! Répond Vualrikh, impatient de connaître la joie du gain.
- Et par quel jeu ?

Les quatre se regardent quelques instants avant que Yoolkas ne réponde.

- Le second. Le jeu de combats.
- Très bien. Suivez-moi.

L’hôtesse les fait ressortir de cette vaste salle, en ferme la porte, et pousse une autre porte. Ils entrent tous. La pièce est elle aussi vaste, mais malgré tout plus petite que la précédente. En son centre, une grande table, rectangulaire, sur laquelle son dessinées huit cases, numérotées de 1 à 8.

A côté de cette table, se tient un petit guéridon sur lequel sont posées quatre statues de bronze. Les statues ressemblent à s’y méprendre aux quatre compères.

Enfin, sur le mur opposé à la porte, une roue orthogonale est fixée. Ses facettes sont numérotées de 1 à 8, sans ordre apparent.

En montrant la roue du doigt, l’hôtesse commence à expliquer.

- Ce jeu est très simple. Vous faites tourner cette roue. Elle va vous indiquer un chiffre. Vous prenez ensuite sur ce guéridon la statuette qui vous ressemble, et vous la posez sur le chiffre correspondant de la table. Le hasard vous désignera un adversaire que vous devrez combattre. Qui commence ?
- J’y vais. Dis Hrok.

Hrok s’avance vers la roue et la fait tourner. Lorsqu’elle s’arrête, elle lui désigne le chiffre 4. Il prend sa statuette, et la dépose sur la case numérotée “4” de la table. Il disparaît instantanément de la pièce.

Puis, c’est au tour de Yoolkas. La roue lui désigne le chiffre 1. Il prend sa statuette, la pose sur la case correspondante, et disparaît à son tour.

Vualrikh prend à son tour le chemin de la roue. Elle lui indique le 7. Il prend sa statuette, la pose sur la case numéro “7” de la table, et disparaît lui aussi.

Enfin, la roue désigne à Kraw le 3. Il prend sa statuette, la pose sur la table, et disparaît.

Chacun des quatre compères se retrouve alors dans une arène, au coeur d’une foule bruyante, et face à un fauve prêt à l’attaquer. Hrock et Vualrikh sont respectivement confrontés à un tigre et une panthère, alors que Yoolkas et Kraw sont opposés à des ours des cavernes.

Après quelques minutes, ils réapparaissent dans la salle. Yoolkas, Vualrikh et Kraw sont en sueur et ont visiblement dû batailler rudement. Pour Hrok, la situation a l’air plus difficile. Il git inconscient au sol, avec des blessures qui semblent sérieuses.

- Hrok ? Hrok ! Tente de le réveiller Yoolkas.

Le guerrier émet quelques râles et respire lourdement. Vualrikh se penche sur lui.

- Je crois qu’il est simplement épuisé par le combat. Il a des griffures profondes. Je ne sais pas contre quoi il s’est battu, mais c’était un adversaire coriace.
- Laisse-moi lui prodiguer quelques soins, dit Yoolkas. Ça devrait aller.

Et le prêtre de Grome de se recueillir, la main droite sur le front de Hrok, et d’incanter une prière.

Bientôt, Hrok rouvre les yeux. Il est pâle, mais semble retrouver rapidement ses esprits.

L’enthousiasme de Yoolkas ne faiblit pas.

- Bien ! Cet ours m’a mis en jambes ... On y retourne ?
- ... Sans moi ... Laisse échapper Hrok dans un soupir.
- Sans blague ... Et sans moi non plus, ajouteVualrik.
- Kraw, ça te tente ? Relance le prêtre
- Allez ! Si tu veux. Allons-y. Répond Kraw

Yoolkas se dirige vers la roue, la fait tourner. Elle lui désigne le 3. Il déplace sa figurine sur cette case et disparaît. Pour Kraw, la roue s’arrête sur le 6. Il déplace lui aussi sa figurine sur cette case, et disparaît à son tour.

De retour dans l’arène, Yoolkas se retrouve face à un imposant gorille argenté. L’animal est d’une force incroyable. Mais l’agilité du prêtre et la paire d’ailes dont il est équipé lui permettent de se mettre hors de portée de son ennemi, et d’en venir à bout sans trop s’exposer.

Pour Kraw, le sujet est plus compliqué. Il est confronté à un gigantesque crocodile, très agressif et très véloce. Les premiers coups que Kraw lui porte n’ont que peu d’effet, tellement son cuir est épais. D’un coup de sa puissante queue, il réussit à balayer le guerrier, déséquilibré par sa hâche Lormyrienne après une attaque que le saurien avait évitée.

Kraw se retrouve à terre. La mâchoire du crocodile se referme sur sa jambe gauche. La pression qu’exerce l’animal écrase sa jambière qui lui brise la jambe, le faisant hurler de douleur. La bête ne relâche pas sa proie pour autant, accentuant la pression, et en secouant la tête violemment en tous sens, tire sur la jambe de Kraw pour le déplacer.

Le guerrier finit par s’évanouir.

Après quelques instants pendant lesquels Kraw n’est plus qu’un pantin dans la gueule du crocodile, la mâchoire de la bête se relâche, et la jambe désarticulée du guerrier retombe à terre.

Puis, la mâchoire béante commence à engloutir Kraw, tête la première.

Quand Yoolkas reprend pied dans la salle qu’il avait quitté quelques minutes plus tôt, il retrouve Hrok, qui est revenu à lui, et Vualrikh, occupé à ses côtés.

- Alors ? Demande le voleur. C’était comment ?
- Oh ... gros et poilu, pourquoi ?
- Moi, ma panthère m’avait suffit. Pas envie de prendre des risques inutiles avec une rencontre plus musclée. Je ne sais pas toi, mais moi, ici, je sens qu’il suffit d’un petit coup de pas de chance pour que ça tourne mal.
- Si tu ne le sens pas, alors il ne faut pas le faire. Mais dis-moi, tu ne trouves pas que Kraw met beaucoup de temps pour se débarrasser de son adversaire ?

Au moment même où Yoolkas finit sa question, Kraw réapparaît à ses pieds, inconscient. Alors que le prêtre de Grome se penche vers lui, son corps inanimé se met à émettre une lueur blanchâtre, puis devient peu à peu translucide, et disparaît.

Ainsi finit Kraw, guerrier du Désert des Larmes.

Tous savaient que la vie dans les Jeunes Royaumes était un jeu risqué, mais la fin de Kraw le leur rappelait cruellement. Hrock, encore sonné par son dernier combat, était particulièrement abattu.

Après quelques instants d’un silence lourd, l’hôtesse se manifeste à nouveau.

- Souhaitez-vous continuer ?

La réponse donnée par Hrok, Yoolkas et Vualrikh étant négative, l’hôtesse se dirige vers la porte et l’ouvre, faisant signe aux trois compères de sortir de la salle. Sur le pas de la porte, une autre hôtesse accompagne un guerrier, dont l’armure, le heaume et la hache font étrangement penser à ceux de Kraw.

- Kraw ? interpelle Vualrikh, stupéfait.
- Non, ce n’est pas Kraw, c’est notre cousin Ston Edjh, lui répond Hrok.
- Salut à toi, cousin, lui lance Ston. Tu as l’air bien abattu. Qu’est-ce qui t’arrive ?
- Ton cousin Kraw, mon frère, n’a pas survécu à ces épreuves cruelles. C’est une grande tristesse.

Après quelques échanges et de rapides présentations, Ston, lui aussi à Ksiarn pour l’Epreuve des Champions, propose de se joindre à Hrok, Vualrikh et Yoolkas. Rapidement, le courant passe bien entre lui et le prêtre ailé.

Pour ne pas rester sur une défaite, ils décident tous deux de retenter leur chance dans l’arène qui avait été fatale à Kraw. La roue murale leur désigne respectivement les chiffres 2 et 8. Ils sortent tous deux victorieux d’un affrontement contre un tigre pour Ston, et contre un crocodile de même nature que celui qui avait coûté la vie à Kraw pour Yoolkas.

- Voila, il ne sera pas dit que le tueur de Kraw s’en sera tiré sans que nous n'ayons l’occasion de le venger, dit le prêtre.
- Tu as bien raison, ajoute Ston. D’ailleurs, puisque j’ai commencé après vous, je dois faire ma part aussi. J’y retourne !

Ston se retrouve, à nouveau, dans l’arène. Mais celle-ci semble vide. Soudain, derrière lui, un râle sourd se fait entendre. Le guerrier fait volte-face et se retrouve nez à nez, ou plutôt nez à trompe, avec un mastodonte doté d’une impressionnante paire de défenses. L’animal commence à le repousser en avançant vers lui. Ston se recule rapidement. Le mastodonte continue à avancer, en donnant des coups de tête vers le bas, comme s’il se préparait à charger.

Ston brandit sa hache, et se met en posture de combat.

Avec une agilité étonnante pour sa masse, l’animal le charge soudainement. Ston l’évite, et lui assène un coup puissant sur une patte avant. La bête réagit avec violence, et dans un grand coup de tête sur le côté, l’une de ses défenses acérées vient labourer l’avant-bras de Ston. Le guerrier est projeté au sol, et sa hache lui échappe des mains.

En une fraction de seconde, le mastodonte a fait volte face, et son énorme patte vient piétiner le bras meurtri de Ston. La bête, vicieuse, s’acharne alors, sans soulever sa patte, à écraser et broyer par pression et rotations successives, méthodiquement, le bras de son adversaire. Bientôt, Ston comprend qu’il n’a plus le choix. Son avant-bras est perdu, et même s’il réussissait à l’extirper de cet étau, il n’en retrouverait pas l’usage. Il arrache alors le glaive qui pend à sa ceinture, et se tranche le bras sous le coude.

Dans un sursaut d’énergie, il se redresse, bondit sur sa hache, et en assène, à une seule main, un coup d’une violence inouïe sur la patte déjà blessée de l’animal. Celle-ci fléchit, et l’animal s’affaisse dans un barrissement de douleur. Ston ne lui laisse pas le temps de réagir, et d’un moulinet surpuissant, lui tranche la trompe avant de lui planter sa hache juste entre les yeux.

Le mastodonte s’effondre, définitivement terrassé.

Il est bientôt de retour auprès de Hrok, Vualrikh et Yoolkas. Le prêtre de Grome lui prodigue des soins, et rapidement, sa plaie cesse de saigner et cicatrise, lui laissant un moignon propre et sain.

- Merci Yoolkas ! Je me sens déjà mieux. Je crois que je vais devoir changer d’arme favorite ... La hache Lormyrienne ne sied pas aux guerriers manchots !
- Manchot peut-être, mais la main qui te reste en vaut deux ! Elle t’a quand même permis de venir à bout de ton monstre en utilisant une hache faite pour être utilisée à deux mains !

L’hôtesse s’immisce dans la conversation.

- Avec une main ou avec deux, il va falloir choisir si vous souhaitez continuer. Il vous reste a tester le premier jeu.
- Vous pouvez nous rappeler de quoi il s’agit ? lui demande Yoolkas.
- Un jeu de hasard.
- Plus précisément ?
- Eh bien vous allez affronter Baler aux dés. Vous ne pouvez jouer qu’une fois. En cas de victoire, le hasard décidera de vos gains, et en cas de défaite, eh bien ... en fait rien.
- Affronter un suppôt de Balo le Bouffon, aux dés ! Voilà qui est stimulant ...
- Alors ?
- Eh bien, allons-y ! Dit finalement Yoolkas après avoir consulté du regard ses trois compères.

L’hôtesse les fait sortir de cette salle, et les amène devant une troisième porte.

Quand elle s’ouvre, les quatre aventuriers découvrent une petite pièce, au centre de laquelle se tient une petite table, carrée. Assis à cette table, Baler. Bien que d’apparence humaine, quelque chose dans son regard traduit son appartenance à un autre ordre que celui de l’humain “normal” qui peuple les jeunes royaumes, pour peu que la normalité y soit la norme.

Devant lui, un plateau de jeu en ébène, deux gobelets de la même matière incrustée d’ivoire, et deux séries de cinq dés, en ivoire eux aussi.

- Salut les gars ! Lance le suppôt du Bouffon. Une petite partie ? Puis, s’adressant à Yoolkas : assieds-toi. Attention à tes ailes ...

Il éclate d’un rire hystérique, puis son expression se fige instantanément, et il fixe Yoolkas dans les yeux avec un grand sourire étrange, avant de ramasser ses cinq dés dans sa paume, de les jeter dans son gobelet, de le secouer énergiquement, et de renverser le gobelet sur le plateau de jeu.

Le résultat ne semble pas lui convenir plus que cela, car ses lèvres forment rapidement une grimace de déception.

- A toi ! Lance-t-il à Yoolkas. Ça ne devrait pas être difficile de faire mieux ...
- Euh ... d’accord, mais mieux, ça veut dire quoi ? Tu peux m’expliquer les règles rapidement ?
- Tu ne connais pas ? C’est simple.

Tout excité, Baler se lance dans une explication en parlant de plus en plus vite.

- C’est simple donc. Le tirage de tes dés peut donner une tierce, trois chiffres qui se suivent, une quarte, quatre chiffre, ou une quinte, cinq chiffres. La quinte est plus forte que la quarte qui est plus forte que la tierce. Le tirage peut aussi te donner un triplet, trois fois le même chiffre, un quartet, quatre fois ou un quintet, cinq fois. Le quintet est plus fort que le quartet qui est plus fort que le triplet. Le quintet est plus fort que la quinte si le dé qui est sorti cinq fois a une valeur supérieure ou égale au dé moyen de la quinte. Le quartet est plus fort que la quarte si le dé qui est sorti quatre fois a une valeur strictement supérieure au dé moyen de la quarte. Le triplet est plus fort que la tierce si le dé qui est sorti trois fois a une valeur supérieure ou égale au dé moyen de la tierce, sauf si la tierce est complétée par un double ! Là, elle est plus forte que le triplet. Facile ! On y va ?
- Euh, oui ...
- Alors vas-y, lance les dés !

Yoolkas, ramasse ses cinq dés, les mets dans le gobelet, secoue le tout avec vigueur, puis déverse le contenu du gobelet sur le plateau de jeu.

- Quatre chiffres identiques. Cela fait ... un quartet, c’est ça ?
- Oui, tu as beaucoup de chance ! Tu gagnes. Et puisque tu gagnes la partie, tu gagnes ... UN VOEU ! s’écrie Baler d’une voix aiguë, avant de s’applaudir lui-même. Dis-moi ce que tu souhaites, et ton souhait sera exaucé. Alors ?
- Humm ... fait Yoolkas ... pour se donner le temps de la réflexion. Ah, j’ai trouvé ! Mon ami Ston, ici présent, vient de perdre un bras dans un combat. Je souhaite qu’il retrouve ce qu’il a perdu.
- C’EST FAIT ! s’écrie à nouveau Baler de sa voix aiguë.

Yoolkas se tourne vers Ston.

Le grand guerrier est en train d’observer son bras avec circonspection. Il a bien retrouvé un avant-bras et une main. Mais ceux-ci n’ont pas vraiment leur apparence d’origine. Le bras est veineux, sombre et poilu, quant à la main, elle a à peu près les mêmes caractéristiques, et est dotée de longs doigts griffus.

- Un bras de démon ... Génial, fait Ston, en grimaçant. Au moins, je devrais pouvoir me servir de ma hache.

Alors que, les yeux fermés, le suppôt du Bouffon du Chaos s’agite frénétiquement dans un fou rire extatique, on croit deviner la musique de la folie qui résonne dans se tête. Il finit par se calmer, et son sourire disparaît en un instant alors qu’il fait signe à Hrok de venir tenter sa chance.

Il ramasse tous les dés, remet les siens dans son gobelet, commence à le secouer, et en projette le contenu sur le plateau de jeu avec un petit rire excité.

- 2, 3, 4, 5, 4. Jolie quarte ! A toi, maintenant, fait mieux !

Hrok s’empare de son gobelet, le secoue, et jette lui aussi ses dés sur le plateau.

- 1, 5, 5, 5, 5. C’est bien ?
- Oui, je crois que c’est très bien, répond Yoolkas !
- J’ai gagné, donc ?
- Tu as un quartet de 5 ! piaille le bouffon, les yeux exorbités. Tu gagnes !
- Et je gagne quoi ? Fait Hrok, inquiet.
- Tu gagnes ... UN VOEU, toi aussi !
- ... Euh ... formidable ... Je peux réfléchir ?
- Tu as raison d’être prudent, lui glisse Ston en lui mettant son bras sous le nez, surtout si ton voeu te concerne directement.
- Alors ? l’interrompt Baler.
- ... D’accord. Pour le guerrier que je suis, il est essentiel d’avoir une bonne constitution pour espérer ne pas mourir prématurément comme Kraw. Voila mon souhait : je souhaite avoir une constitution supérieure à celle que j’ai aujourd’hui, mais que rien d’autre en moi ne soit différent de ce que je suis aujourd’hui.
- Malin ! Lui glisse Vualrikh.

Baler a l’air déçu de cette réponse, puis semble se résigner à accorder ce voeu qui laissait aussi peu de place à l’aléa.

Hrok laisse sa place à Ston. Cette fois, le jet de dés est favorable à Baler. Ston semble presque soulagé, même si l’idée d’utiliser un souhait pour échanger son bras de démon contre son bras d’origine lui avait traversé l’esprit, il n’était guère rassuré à l’idée de se confronter une nouvelle fois à l’esprit retors de l’agent du Chaos.

Enfin, c’est à Vualrikh de tenter sa chance. Lui aussi sera moins favorisé que Baler par son tirage. Mais face au Chaos, perdre pouvait s’assurer plus sûr que gagner, et Vualrikh était plutôt satisfait de son sort.

L’après-midi s’achevait tranquillement quand ils sortent tous les quatre de la Demeure des Aléas de Baler. Puis, ils se dirigent ensemble vers la zone de campement où, après avoir regroupé leurs tentes, ils dînent tous les quatre de brochettes et de fruits achetées à un marchand ambulant.

Le lendemain matin, à l’aube, une sonnerie de cor retentit dans tout le campement à six heures pour éveiller tous les participants aux épreuves.

A sept heures, tous les candidats, ils sont plus de deux cents, sont groupés devant le sergent de la garde qui avait pris leur inscription. Il semble d’une humeur aussi guillerette que la veille et parle d’une voix toujours aussi douce …

- SILENCE !!! AUJOURD’HUI, SIX EPREUVES VOUS ATTENDENT. AUCUNE N’EST ELIMINATOIRE, MÊME SI ÇA DEVRAIT ÊTRE LE CAS, PARCE QUE SI VOUS N’ÊTES PAS CAPABLE DE PASSER ÇA, PAS LA PEINE DE CONTINUER. ON VOUS DIRA A LA DERNIERE EPREUVE DE LA JOURNEE SI VOUS ÊTES QUALIFIE POUR LE LENDEMAIN. MAINTENANT, VOUS ALLEZ SUIVRE LES GARDES QUI VOUS GUIDERONT ENTRE LES EPREUVES. EXECUTION.

Et comme une longue file de canetons suivant leurs parents, tous les concurrents se mettent en marche sagement derrière deux gardes qui les mènent vers leur terrain de jeu, dans une arène construite au centre du campement. Une série de gradins accueille une petite foule de spectateurs joyeux et bruyants.

Le centre de l’arène a été aménagé en trois parties distinctes.

Un mur de 10 mètres de haut, en terre, a été construit au nord.

Au centre, a été creusée une fosse large de près de quatre mètres. Elle est emplie de boue, et une dizaine de pourceaux s’y ébattent.

Et au sud, trois bouffons sont en train de jongler avec des boules de bois de a taille de pommes, en s’entraînant à les lancer en direction de plots qui, à n’en pas douter, accueilleront bientôt les candidats.

Une équipe d’arbitres accueille les candidats.

- Messieurs, lance l’arbitre principal, Bienvenue aux éliminatoires de l’Epreuve des Champions. Ce matin, dans cette arène, vous allez devoir, équipés tels que vous combattrez demain si vous vous qualifiez, passer ce mur et franchir cette fosse. Vous n’aurez droit qu’à un seul essai. Ensuite, il vous faudra faire preuve d’agilité en évitant des projectiles sans tomber du plot sur lequel vous vous tiendrez. Bonne chance.

L’air de rien, ce mur était plus haut qu’il n’y paraissait, et n’était pas si simple à franchir, surtout en armure complète avec une hache Lormyrienne attachée dans le dos. Alors que Vualrikh et Yoolkas s’en tirent bien, l’obstacle s’avère infranchissable pour Ston et Hrok.

Passer la fosse semble plus aisé. Tout n’était qu’une question d’élan et d’impulsion. Mais la prise d’appel sur un terrain meuble n’était pas évidente, et tous échouent, parfois de peu, à franchir la tranchée en une fois.

A chaque échec, une grande clameur retentit dans les gradins. Rires, cris et appaudissements finissent d’humilier le candidat aux prises avec ses nouveaux amis porcins.

Vient ensuite l’épreuve d’évitement des projectiles. Hrok, Ston, Vualrikh et Yoolkas s’installent sur quatre plots répartis sur un arc de cercle.

Après avoir expliqué la règle de l’épreuve, l’arbitre frappe sur un petit gong, et l’épreuve commence. Dès cet instant, les bouffons se mettent à jongler de plus en plus vite, feignant de lancer leurs balles, se croisant, et difficile de prédire qui allait lancer ses projectiles et sur quelle cible.

Hrok réussit à éviter le premier, mais est déséquilibré et tombe de son plot en voulant éviter le second. Ston est touché par le premier projectile qui vient s’écraser sur la boucle de sa ceinture. Vualrikh a plus de succès, et se contorsionnant avec agilité, réussit à se maintenir sur son plot sans être touché. Enfin, Yoolkas, après avoir fait preuve de beaucoup de souplesse et d’équilibre pour échapper aux deux premiers projectiles, tombe de son plot en voulant en faire de même avec le troisième.

Les épreuves de l’après-midi se passent en dehors de l’arène.

A une demi-lieue à l’est du campement se trouve un lac, ou plutôt un étang, d’une cinquantaine de mètres de diamètre. Il alimente une petite rivière d’environ cinq mètres de large qui coule ensuite vers l’ouest. C’est là qu’une arène temporaire a été installée.

L’arbitre qui avait accueilli les candidats le matin et de nouveau là pour les épreuves de l’après-midi.

- Messieurs, les épreuves de cet après-midi sont d’une nature toute différente. J’espère que vous n’avez rien contre l’eau.

Beaucoup de participants se regardent avec inquiétude. La plupart ne savent pas nager.

L’arbitre continue, en montrant la rivière.

- Vous allez devoir franchir ce petit bras d’eau, toujours équipés tels que vous combattrez demain, en équilibre sur le tronc d’arbre que sont en train d’installer mes deux appariteurs.

Le Tronc en question était complètement lisse, comme s’il avait été ciré. Il était manipulé par deux membres de la garde de Ksiarn, grâce à des poignées à chaque extrémité. Mais ces poignées permettaient aussi de faire tourner le tronc sur lui-même et de déséquilibrer les candidats à la traversée.

- Puis, toujours dans la même tenue, j’insiste, vous devrez traverser le lac à la nage et, enfin, déplacer le traîneau chargé de billots de bois que vous voyez de l’autre côté de la rivière sur une distance d’au moins dix mètres. L’Epreuve des Champions ne souhaitant pas rester dans l’histoire comme la plus grande noyade collective de l’élite guerrière des Jeunes Royaumes, vous serez encordés pour l’épreuve nage, afin de pouvoir être repêchés en cas de problème, et les barques que vous voyez .

L’inquiétude fait place au soulagement sur beaucoup de visages. Soulagement tout relatif car il fallait malgré tout se jeter à l’eau en armure pour beaucoup !

Un à un, les candidats s’engagent sur le tronc. Leur agilité sur la surface lisse et courbe est assez variable. Mais les efforts des deux gardes pour faire tourner le tronc et glisser les candidats sont fréquemment couronnés de succès. Bon nombre d’entre eux, dont Vualrikh et Yoolkas, finissent dans l’eau.

Puis, encordé, chacun s’élance dans la traversée de l’étang, souvent avec beaucoup d’hésitation. La proportion des concurrents maîtrisant la nage n’était même pas de un pour dix. Vualrikh, Yoolkas, mais aussi Hrok, ne faisaient pas partie de ceux-là. En revanche, malgré son équipement, Ston s’en sort très bien.

- Où est-ce que tu as appris à nager comme cela ? Lui demande son cousin Hrok.
- Avant de commencer mon entraînement de guerrier, quand j’étais enfant, j’ai été confié presque deux ans à mon oncle. Il habitait à Viel Hrolmar, dans le sud du Vilmir. Il était pêcheur et avait un petit bateau. Je l’ai beaucoup suivi, et donc, j’ai appris à nager ...
- Avec une armure ???
- Non, évidemment, mais nous pêchions souvent des coquillages, ce qui obligeait à nager en portant des sacs de jute remplis de ce que nous ramassions. Parfois, ça pesait bien plus qu’une armure !

Les arbitres réunissent à nouveau les candidats encore détrempés par la traversée de rivière qu’ils venaient d’effectuer.

- Messieurs, pour clôturer la journée, une dernière épreuve vous attend.

L’arbitre qui avait pris la parole désigne du bras un imposant traîneau qui se tenait non loin de là. Ses patins mesuraient près de trois mètres de long. Sur sa plate-forme, des rondins étaient empilés. Le tout devait peser plus de 250 kilogrammes.

- Vous voyez ce traîneau ? Vous allez devoir le tirer sur dix mètres. Vous pouvez faire plus si vous voulez ...

Et un à un, les candidats viennent s’atteler au traîneau pour tenter leur chance. Certains, écarlates, soufflant, râlant et grimaçant sous l’effort, n’arrivent même pas à le faire bouger. D’autres, les plus nombreux, réussissent péniblement à le déplacer, mais finissent par abandonner, parfois dépités, comme Ston, parfois défaillants, comme Yoolkas, mais toujours épuisés. Rares, enfin, sont ceux qui parviennent à le tracter jusqu’à la limite définie par les arbitres. Hrok et Vualrikh sont de ceux là.

Le soir, personne, ou presque, n’avait passé avec succès les six épreuves de la journée. Les juges font leur sélection, et à peine 50 candidats sur la quantité d’origine sont déclarés qualifiés pour la seconde journée.

Les quatre compagnons en étaient.

Le soir, au campement, alors qu’ils sont tous les quatre, fourbus, autour en train de dévorer quelques brochettes autour d’un feu de camp, une très jeune femme s’approche d’eux. Sa silhouette fine, sa démarche souple et ses yeux vert émeraude attirent immédiatement tous les regards.

- Bonjour, leur lance-t’elle. Je me nomme Ivela. Je suis envoyée vers vous par Erehes Mehnjar. Il vous a vu aujourd’hui et souhaiterait vous confier une mission.
- ... En fait, nous allons être assez occupés demain ... répond Ston après quelques instants d’hésitation.
- Pas demain matin, bien sûr ! lui rétorque Ivela avec un petit sourire malicieux. Mais passez donc le voir demain après les épreuves. Il réside dans la grande tente mauve située à l’extrémité Est du campement.

Après le départ d’Ivela, les quatre compagnons d’aventures discutent un peu et conviennent qu’ils n’avaient rien à perdre à rencontrer ce personnage. Puis, ils trouvent le sommeil rapidement.

Le lendemain matin, après une nuit de repos, tous les candidats se retrouvent dans l'arène qui les avait accueillis la veille. L’arbitre principal reprend la parole.

- Messieurs, vous avez franchi les épreuves d’hier, mais celle qui vous attend ce matin, la dernière, est décisive. Vous allez devoir parcourir cinq kilomètres, là encore équipés tels que vous combattrez cet après-midi si vous vous qualifiez, mais en portant une charge équivalente à votre poids. Les seize meilleurs d’entre vous seront qualifiés pour les huitièmes de finale de l’Epreuve des Champions. Vous allez commencer par passer sur la balance à bestiaux qui se trouve derrière moi. On vous chargera avec des sacs selon votre poids. Puis vous partirez en direction de Ksiarn et vous reviendrez ici.

Un à un, les candidats passent sur la balance, sont chargés en conséquence, puis partent péniblement en direction de la cité.

Seuls 3 concurrents réussissent à revenir au campement après presque une heure d’efforts terribles sous le soleil. Tous les autres, sans exception, abandonnent avant. Hrok, Ston, Vualrikh et Yoolkas font partie de ces derniers.

Néanmoins, les efforts de Hrok, Ston et Yoolkas sont récompensés, car ils réussissent malgré tout à finir dans les seize premiers et sont repêchés. En revanche, Vualrikh ayant posé sa charge à terre avant même d’être à mi-chemin entre le campement et la cité, il ne franchit pas cette épreuve et est éliminé.

Dès l’après-midi, les seize candidats sélectionnés se retrouvent dans l’arène, devant une foule considérable.

Après l’intervention d’un chauffeur d’arène, l’arbitre s’adresse aux candidats.

- Messieurs, vous avez désormis passé les épreuves éliminatoires. Cela n’était que le début. C’est maintenant que vous avez la possibilité de devenir des héros. Comme le royaume de Vilmir n’est pas une nation meurtrière, tous les combats auxquels vous allez prendre part seront des combats au premier sang. A une exception près. La finale. Le combat qui désignera le Champion de l’année sera un combat à mort.

Et deux à deux, il appelle les candidats qui vont s’affronter.

Le combat est expéditif. Le premier des candidats ne laisse pas à son opposant le temps de réagir, et se précipite vers lui. Ecartant son épée à l’aide de son cimeterre, il le déséquilibre, et le pousse à terre, pointant sa lame sur sa gorge.

Le premier vaincu quitte l’arène sous les sifflets de la foule.

Puis, c’est au tour de Yoolkas d’être appelé. Il est confronté à un chasseur dont la carrure massive tranche avec la silhouette frêle et ailée du jeune sorcier. Mais la vivacité de ce dernier compense largement la différence de gabarits. Dans un premier temps, toutefois. Car au bout de quelques minutes de combat, la différence de puissance devient flagrante, et Yoolkas est bientôt contraint à reculer devant les coups de boutoirs répétés de la lourde épée du chasseur. Jusqu’à ce qu’épuisé, ses parades ne deviennent moins efficaces, et qu’une fente précise ne le touche au flanc.

Ston prend la suite. Son adversaire est moins imposant que lui, et n’est pas de première jeunesse. Un vieux mercenaire, couvert de balafres. L’adage populaire dit qu’il y a des mercenaires intrépides, qu’il y a de vieux mercenaires, mais qu’il n’y a pas de vieux mercenaires intrépides. Celui-ci devait donc être de la race des mercenaires prudents. Son expérience apparait d’ailleurs assez rapidement. Les premiers échanges de coups sont assez peu engagés, et ne lui servent visiblement qu’à jauger Ston. Et il ne lui faut pas longtemps pour voir à qui il avait à faire. Et la technique du guerrier, bien qu’efficace, ne resiste pas longtemps à l’expérience du mercenaire qui, de feinte en contre-attaque, se débarrasse rapidement de son adversaire.

Les combats s’enchaînent, jusqu’à ce que ne restent que deux candidats. Hrock est l’un des deux. Le second est un géant, vêtu, ou plutôt muré, dans une armure encore plus impressionnante que celle de Hrock. Il est armé d’une étrange lance dont les deux extrémités portent des lames semblables à celles de hallebardes.

Lorsque le dernier combat s’engage, le vacarme des applaudissements, des cris et des encouragements est à son comble dans l’arène. L’adversaire de Hrock se sert de son arme comme d’un baton de combat, l’utilisant parfois pour parer les coups à deux mains, parfois pour en porter avec une grande violence.

La confrontation est la plus spectaculaire de toutes celles qui se sont déroulées jusqu’alors. Et Hrock finit par l’emporter, après avoir brisé l’arme de son adversaire, et que tous les spectateurs font une véritable ovation aux deux concurrents.

Le chauffeur d’arène decrète une demie-heure de pause avant la reprise des combats avec les huit candidats restants.

Lorsque l’arbitre donne le signal de la reprise des combats, l’ambiance dans l’arène monte encore d’un cran.

Dans cette nouvelle phase de l’épreuve, Hrock est confronté au vainqueur du premier combat. Lorsque l’assaut s’engage, il le laisse se précipiter vers lui, comme il l’avait vu faire contre son premier opposant. Mais alors qu’il arrive au contact sur lui, il feinte pour éviter l’épée qui allait écarter la hampe de sa hache lormyrienne, se décale rapidement et assène un coup d’une grande violence sur la cuisse de son assaillant.

Le public exulte. Le combat avait été aussi expéditif que le tout premier, mais cette fois, c’est Hrock qui était le vainqueur.

Les trois combats suivants voient le public s’enflammer. Doriak d’Argimiliar, le favori, l’emporte aisément. Un nouvel intermède d’une heure est décrété pour laisser aux quatre combattants qualifiés le temps de récupérer.

Puis, le spectacle reprend. L’ambiance frise l’hystérie.

C’est Hrock qui est appelé en premier. Et il est justement confronté à Dorak. Le combat dure près de vingt minutes. Mais le favori est vraiment le plus fort. Et quite à perdre un combat contre lui, autant le perdre vivant, donc à ce stade de la compétition ...

Désormais réunis en tant que simples spectateurs, les quatre compagnons peuvent profiter sereinement de la fin de l’Epreuve des Champions.

Ils assistent ainsi à la victoire programmée de Dorak d’Argimiliar. Son adversaire git, terrassé au milieu de l’arène, face contre terre, une épée plantée entre les deux omoplates. Le vainqueur, qui a le sens du spectacle, fait le tour de l’arène en brandissant les bras vers le ciel, et en poussant des rugissements à l’attention du public qui lui rend cette attention sous forme d’une ovation d’une puissance et d’une durée rarement entendue.

Après cette journée éprouvante physiquement, surtout pour Hrock, tous se retrouvent au campement pour se reposer. Une fois rafraîchis, ils prennent ensemble le chemin de la tente d’Erehes Mehnjar. Ils la trouvent sans difficulté. Comme Ivela l’a décrite, elle est grande, mauve, à l’entrée Est du campement, et surtout protégée par des gardes. Outre une armure de cuir de bonne qualité, ils sont vêtus d’une cape de couleur assortie à la tente.

Lorsque les quatre compagnons se présentent, l’un des gardes se retire dans la tente pour les annoncer. Il revient rapidement et les invite à entrer.

Du fond de la tente, une homme leur fait signe d’avancer jusqu’à lui. Il semble assez grand, un peu corpulent, probablement un marchand compte-tenu de la décoration raffinée de la tente, mais il est difficile de se rendre compte de plus de choses sur son physique, car il est assis. Néanmoins, l’épée qui pend à son côté gauche, et surtout la façon dont sa main est posée dessus, laisse penser que l’homme sait s’en servir.

Hrock, Ston, Vualrikh et Yoolkas le rejoignent, le saluent, et s’assoient face à lui. C’est le moment que choisi Ivela pour entrer dans la tente et venir s’asseoir à ses pieds.

Il leur fait proposer une boisson fraîche, et quelques amuses-bouche, avant de s’adresser à eux plus directement.

- Messieurs, je vous remercie d’avoir répondu à ma sollicitation. Je vous ai vu pendant les épreuves éliminatoires et pendant les combats, et je dois dire que j’ai apprécié non seulement vos prouesses physiques, mais aussi la camaraderie qui semble vous lier. C’est pour ces raisons que j’ai souhaité faire appel à vos services.

En caressant distraitement la chevelure d’Ivela, il marque une petite pause, comme guettant un signe particulier de la part de ses invités, puis il reprend.

- Voila ... Mon fils de dix ans, Jel, a été enlevé. On ne me demande pas de rançon, mais j’ai reçu hier un message qui me dit que Jel ne me sera rendu que si mon frère Sarsham se rend dans la forêt des Edéores. Malheureusement, celui-ci a été rappelé d’urgence dans la forêt de Troos, et il ne sera pas de retour avant plusieurs jours, voire une à deux semaines.

Après un nouveau silence, il enchaîne.

- Accepteriez-vous de m’aider ? Je saurais me montrer très généreux.

Les quatre compagnons se regardent rapidement, et comme aucun signe de refus n’est visible dans les yeux des trois autres, c’est Hrock, le plus méritant de la journée, qui prend la parole.

- Eh bien, je crois pouvoir dire que mes amis et moi sommes plutôt intéressés par votre proposition.
- Oui, confirme Ston.
- Tout à fait, reprend Vualrikh.
- Absolument, conclue Yoolkas
- Je vous remercie. Votre réponse, vos réponses, me redonnent espoir.
- Nous aurions quelques questions complémentaires, reprend Hrock, avant d’être interrompu par le marchand.
- Oui, bien sûr. Je vous propose 3000 Grandes Bronzes si vous me ramenez mon fils. Est-ce que cela vous convient ?

Hrock regarde ses compagnons. La somme est très importante. Les expressions de leurs visages traduisent à la fois un agréable étonnement quant au montant cité et le fait que les questions que Hrock s'apprêtait à poser n’étaient pas relatives à ce sujet.

- ... Heuh ... Oui, tout à fait. Mais ...
- Si vous le souhaitez, je peux vous verser un tiers de cette somme dès maintenant ? l’interrompt à nouveau le marchand.
- Ce n’est pas la peine, Maître Mehnjar, lui répond Hrock avec plus d’assurance. Nous aimerions simplement avoir quelques précisions sur les circonstances de la disparition de votre fils.
- Ah ... Pardonnez-moi. Jel a disparu avant-hier soir. Il était avec moi sur le campement et jouait à l’extérieur. Quand je suis sorti le chercher pour le dîner, il n’était plus là. J’ai d’abord cru qu’il était parti se promener un peu plus loin, puis qu’il s’était perdu. J’ai passé une nuit terrible. Et le lendemain matin, j’ai reçu le message dont je vous ai déjà parlé.
- Avez-vous interrogé le messager ? Intervient Vualrikh
- Oui, bien sûr. Mais il n’était que l’un des coursiers du service de messageries du campement, pas l’émetteur du message. J’ai pu obtenir la description de l’homme qui avait remis le message. D’une banalité déconcertante ...
- Est-ce que votre fils a un signe distinctif ? Reprend Ston.
- Oui. Il porte un pendentif au dos duquel ses initiales, J.M., sont gravées.
- Et est-ce que vous vous connaissez des ennemis ? Continue Yoolkas.
- Non. Des concurrents prêts à me faire des coups bas, oui, sûrement, mais pas au point d’organiser l’enlèvement de mon fils.
- De toutes façons, cela ne colle pas avec le fait qu’on vous demande d’envoyer votre frère, et que l’on ne parle pas de rançon, ajoute Vualrikh.
- Vous avez raison.
- D’ailleurs, que fait votre frère Sarsham ? continue Vualrikh.

Le marchand marque un petit temps d’arrêt avant de répondre.

- Oh, il m’aide dans mes affaires, mais il a aussi un peu les siennes.
- Et vous lui connaissez des ennemis ? ajoute Ston.
- Pas plus que moi ... Répond le marchand de façon assez évasive.

La conversation se poursuit pendant que des amuses-bouche plus consistants, mais néanmoins assez fins, sont servis. Il ne se dira plus rien d’essentiel. Un peu plus tard, alors que les compagnons se retirent, ils assurent Erehes Mehnjar qu’ils partiront à la recherche de son fils dès le lendemain matin.

Au soleil levant, les paquetages sont prêts et le petit groupe prend la route de la forêt des Edéores. Les chevaux sont frais, et les lieues nécessaires à la traversée de la longue plaine poussiéreuse qui sépare Ksiarn de la forêt défilent vite.

Le soir venu, un campement est installé. Après le dîner, des tours de garde sont instaurés. Vualrikh prend le premier. Sur la fin de sa période de veille, le bruit d’un cavalier se fait entendre. A sa grande surprise, le voleur croit reconnaître Ivela chevauchant une monture lancée au galop vers la forêt des Edéores. Le reste de la nuit se passe sans incident particulier.

Néanmoins, compte-tenu de cet évènement, le groupe repart avant l’aube pour pister la trace d’Ivela. En fin de matinée, les quatre compagnons pénètrent dans l’épaisse et sombre forêt des Edéores. Bientôt, une falaise se dresse devant eux. Il en émane une atmosphère étrange, quelque chose d’obscur et presque douloureux.

En prenant un peu de recul, Yoolkas remarque que des trous dans la roche, ainsi qu’une cavité assez importante à la base, donnent à cette falaise une inquiétante apparence de crâne humain.

La piste d’Ivela les conduit jusqu’à l’entrée de la cavité, la “bouche” du crâne.

Ils attachent leurs chevaux à un bosquet d’arbres, et pénètrent dans la cavité en file indienne. Ston est devant, suivi par Yoolkas et Vualrikh. Hrock ferme la marche.

L’intérieur se révèle être un couloir. Ses parois sont recouvertes d’ossements, des bras décharnés brandissent des torches éteintes qui ne sont autre que des tibias humains. Alors que la lumière et l’air frais de la forêt sont peu à peu remplacés par l’obscurité et une odeur de putréfaction, le bruissement du vent dans les arbres fait place à des gémissements et des lamentations, rythmés par un bruit de tambour lent et sourd.

- Je n’aime pas cet endroit, murmure Vualrikh à l’intention de Yoolkas.
- Moi, non plus. Ça empeste le Chaos.

Une fois leurs yeux accoutumés à l’obscurité, les membres du groupe peuvent avancer plus sûrement, alors que le bruit du tambour, qui provient du fond du couloir, se fait de plus en plus présent.

Au milieu du couloir, de part et d’autre, deux portes. Fermées.

Celle de droite n’est pas fermée à clé. Aucun bruit n’en sort. Vualrikh l’entrebaille discrètement. Hrock s’y engouffre en brandissant son épée. Outre un banc poussiéreux posé en son centre, la pièce est déserte.

Celle de gauche est fermée à clé. Vualrikh la crochète facilement. A l’aide d’un solide coup d’épaule, Ston ouvre la porte, sa hache à la main, prêt à en découdre avec un éventuel ennemi. La pièce qu’il découvre est en fait une cellule poussiéreuse dans laquelle un jeune garçon est assis dans un angle.

Hrock s’approche de lui et s’accroupit.

- Comment t’appelles-tu ?

L’enfant lève la tête, un peu hagard, puis le regarde avec un air inspiré avant de lui répondre.

- Jel, je m’appelle Jel.

Hrock le prend par la main et l’aide à se relever.

- Viens, nous allons te ramener chez toi.

Soudain, alors que tout le monde est en train de ressortir de la geôle de l’enfant, Yoolkas intervient violemment. Il sépare l’enfant de Hrock, le projette au sol dans sa cellule, referme la porte avec énergie, et lance à Vualrikh :

- Vite ! Verrouille cette porte.
- Hein ... Mais pourquoi ?
- VITE !!!

Pendant que le voleur s’exécute, Hrock fait part de son étonnement.

- Tu peux nous expliquer ce qu’il se passe ?
- Tu n’as rien remarqué ?
- Euh ... Non ! Qu’est-ce que j’aurais dû remarquer ?
- Il ne porte pas de médaille ...
- Il l’a peut-être perdue, ou on lui a volée. C’est tout ???
- En fait non, ça c’est un détail. Le point important, c’est que ce n’est pas Jel !
- Comment peux-tu en être sûr, tu ne l’as jamais vu.
- J’en suis sûr, parce que cet enfant n’est pas un enfant. C’est un démon qui a pris sa forme.

L’instant d’étonnement passé, tous se ressaisissent, et continuent leur progression, en gardant désormais un oeil sur leurs arrières.

Le couloir aboutit à un balcon qui surplombe une grande pièce octogonale. Les sept côtés qui font face au balcon sont dotés de portes.

Il ne faut pas longtemps pour identifier la nature de cette pièce : une grande étoile du Chaos est gravée sur le sol, et le centre de cette étoile est occupé par un autel sacrificiel d’où s’échappent huit rigoles qui irriguent de sang les bras de l’étoile. Quant aux murs, ils sont faits de la même matière humaine que ceux du couloir.

La lumière vacillante issue de deux torches allumées de part et d’autre de la pièce achève d’installer une atmosphère lugubre à ce lieu.

Deux escaliers en colimaçon situés de part et d’autre du balcon permettent de descendre dans la pièce. Hrock et Yoolkas empruntent celui de gauche, Ston et Vualrikh celui de droite. La descente est cauchemardesque : les marches sont faites de corps humains entremêlés, et chaque pas provoque des soubresauts et des gémissements de douleur.

Une fois au sol, l’impression est encore plus sinistre. Du fait du vacillement des torches, les murs semblent parcourus d’ondulations. Le bruit sourd du tambour résonne sous la voûte. Il semble provenir de la première porte située à gauche de l’escalier emprunté par Hrock et Yoolkas.

Les quatre compagnons laissent cette porte de côté pour s’intéresser à la suivante sur la droite. Elle est verrouillée. Vualrikh la crochète facilement. Ston et Hrock se précipitent ensemble dans la pièce, pendant que le voleur reste en repli, une épée à la main, et que Yoolkas a pris un peu de recul, derrière l’autel de sacrifice.

Un jeune garçon, ressemblant étonnamment au démon croisé à l’étage supérieur, est prostré contre un mur. Les deux guerriers marquent un temps d’arrêt, ne sachant comment le considérer, et tournent la tête vers le sorcier ailé, cherchant un signe de sa part.

Yoolkas s’approche, scrute l’enfant pendant quelques instants, et semble rassuré. Il vient s’accroupir devant lui et lui demande :

- Comment t’appelles-tu ?

L’enfant ne répond pas. Yoolkas avance sa main et tire doucement sur la petite chaîne qu’il porte autour du cou. A son extrémité, une médaille apparaît. Elle est gravée avec les initiales J.M.

- Tout va bien Jel, ne t’inquiète pas. C’est ton père qui nous envoie. Nous allons te ramener chez toi.
- J’aimerais que l’on vérifie rapidement ce qui se trouve dans les autres pièces, ajoute Vualrikh. On pourrait avoir de bonnes surprises, mais surtout, si on en a des mauvaises, je préfère prendre l’initiative plutôt que d’être pris au dépourvu.
- D’accord. Jel, tu nous attends ici, ne bouge pas.

La porte adjacente à droite de la prison de Jel est entrouverte. Un rapide coup d’oeil dedans montre qu’il s’agit d’une salle de garde, mais qui n’a pas été utilisée depuis longtemps. Une vieille table, des bancs et des tabourets bancals, et des toiles d’araignées en quantité impressionnante.

La porte suivante fait face au balcon par lequel les quatre aventuriers ont découvert cette pièce. Au pied de la porte, une inscription a été gravée dans le sol.

“Quiconque passera ce seuil se perdra à jamais.”

Vualrikh pose son oreille sur la porte. Les gargouillis infâmes qu’il perçoit derrière ne donnent pas envie d’aller plus loin.

Sur la droite, une cinquième porte. Fermée, mais pas verrouillée. Il s’agit d’une chambre. Une épouvantable odeur de putréfaction y règne. La décoration assez riche, lit à baldaquin, tentures brodées, tranche avec la pièce précédente. Une petite armoire est fermée à clé. Vualrikh la crochète et découvre une bourse de cuir qui contient quelques dizaines de Grandes Bronzes et une gemme verte.

La pièce suivante est une bibliothèque. Des grimoires et des parchemins emplissent les rayonnages qui couvrent les murs. Le groupe ne s’y attarde pas. Ce type d’objets, qui plus est trouvés dans un temple du Chaos, pouvait faire perdre la raison au plus sage.

La dernière porte, située à la base du second escalier en colimaçon, n’est elle non plus pas verrouillée.

Hrock et Ston, mal à l’aise dans ce lieu, empruntent l’escalier pour remonter vers le balcon. Lorsqu’ils s’engagent dans le couloir pour retourner vers la forêt, un démon les attend, campé au niveau de la porte de la geôle du faux Jel. Ston se précipite sur lui en brandissant sa hache Lormyrienne. Hrock le suit, tentant de contourner le démon pour le prendre à revers.

La vivacité et l’agilité des trois combattants est sidérante. Sur un coup d’une grande violence, la hampe de la hache de Ston se brise. Hrock multiplie les attaques pour laisser le temps à son compagnon de se réarmer de son cimeterre, et sur son dernier coup, le démon s’effondre, terrassé.

Pendant ce temps, Vualrikh et Yoolkas jettent un oeil dans la pièce. A part les habituelles araignées, elle est aussi inhabitée que les précédentes. Quelques chaises, une table posée en son centre, des verres et une carafe sur un plateau. Elle donne l’impression d’avoir été utilisée plus récemment.

Au moment où ils ressortent de la pièce, un homme armé d’une épée bâtarde, suivi par Ivela armée d’une dague, surgissent d’un panneau qui s’est relevé dans le mur situé sous le balcon, entre les deux escaliers.

En quelques instants, le sorcier invoque un petit élémentaire d’eau. L’homme s’arrête brusquement, les yeux écarquillés d’horreur et place ses mains autour de sa gorge, comme s’il voulait se libérer de quelque chose d’invisible. Il s’effondre, se tordant au sol dans des spasmes ridicules, avant de s’immobiliser, définitivement. Noyé.

Pour ce qui est d’Ivela, Vualrikh l’avait déjà neutralisée. La main qui brandissait la dague était désormais ouverte et vide, fermement maintenue par cette du voleur, et l’autre main de la jeune femme maintenait sa joue endolorie.

A l’étage du dessus, au même moment, Hrock et Ston constatent avec effroi que les corps enchevêtrés dans les murs commencent à s’animer, les visages se déforment dans des grimaces de souffrance, et des bras cherchent à agripper tout ce qui pourrait passer à leur portée. Ils fuient le plus vite possible vers la sortie.

Dans la grande pièce octogonale, il en est de même.

- Tu as remarqué, dit Yoolkas
- Quoi ? répond Vualrikh.
- Tous ces corps enchevêtrés qui s’animent ?
- Oui, merci ! D’ailleurs, j’aimerais bien ne pas rester là trop longtemps, ça me glace le sang.
- Non, ce que je veux dire, c’est que ces corps se sont animés au moment où cet homme à rendu l’âme.
- Et ?
- Les coups de tambour, ils sont plus forts, non ?
- Possible.
- Tous ces corps de malheureux que nous voyons sont des damnés qui ont été sacrifiés ici, et leurs âmes doivent être prisonnières du tambour. Ce sont elles que nous entendons. L’homme que je viens de tuer était le maître de ces lieux, et sa mort leur offre la possibilité de trouver la paix. Il suffit de libérer leurs âmes.
- Le tambour ?
- Oui, il faut le crever.

Vualrikh dégaine une dague, ouvre avec précaution la première des portes, celle qui n’avait jamais été ouverte. Elle s’ouvre sur une pièce sombre dans laquelle un tambour vivre lourdement. L’objet est imposant, de même taille que le voleur. Son fût est fait d’os humain, et la peau qui est tendue dessus, veinée de bleu, est probablement de même origine.

Un terrible sentiment de tristesse intérieure envahit le voleur.

Il brandit sa dague et lacère la peau du tambour.

L’espace d’un instant, les gémissements des âmes se transforment en souffle de libération, puis, le silence se fait. Quand le voleur ressort de la pièce, les murs de la salle de sacrifice sont à nouveau inanimés, les grimaces de douleur ont disparu des visages qui sont désormais vides de toute expression.

Vualrikh entrave les mains d’Ivela, Yoolkas retourne chercher le petit Jel, et ils ressortent tous les quatre de ce lieu d’effroi, rejoignant Hrock et Ston dehors.

Après avoir récupéré leurs chevaux, ainsi que ceux d’Ivela et de son complice, ils peuvent reprendre tranquillement le chemin de Ksiarn, laissant derrière eux cet endroit maudit. Durant les deux jours de voyage, ils obtiennent d’Ivela des aveux complets.

L’homme qu’ils ont tué s’était rendu maître de ce temple du Chaos un peu par hasard, le même hasard que celui qui lui avait permis de prendre le contrôle du démon qui avait attaqué Hrock et Ston. Ivela était elle aussi une servante du Chaos. L’homme l’avait utilisée pour séduire le marchand et lui soutirer une rançon, espérant au passage tendre un piège mortel à Sarshan, le frère de Erehes Mehnjar, qui était, lui, au service de la Loi.

Cela avait presque marché.

De retour à Ksiarn, la joie qui envahit Erehes Mehnjar à la vue de son fils sain et sauf est indescriptible. Il remercie interminablement les quatre compagnons, leur remet une récompense de quatre mille Grandes Bronzes, allant au-delà de sa promesse initiale, et fournit à Ston une hache Lormyrienne en remplacement de celle qui avait cédé devant le démon.

Quelque chose, pourtant, restreignait sa joie. Il lui était difficile d’accepter la trahison d’Ivela. Il lui faut beaucoup de détails, et des aveux de la bouche de la coupable pour finir par entendre raison. Abattu, bien que soulagé, il décide de la remettre aux mains de son frère, qui saurait quoi faire.

Quelques jours de repos s’imposaient. Ksiarn pouvait être très accueillante, surtout avec une bourse bien garnie.


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