Codex Arkana

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Moi, Tanaël d’Ismat, mon frère jumeau Danaël, ainsi que nos deux demi-frères Bardaël et Tamior, avons été les témoins d’évènements troublants et graves, qui changent la physionomie de notre monde, mais que nous ne sommes pas en mesure de comprendre, pas plus que d’en mesurer la portée réelle.

Au moment où ces lignes sont écrites, nous n’avons pas vraiment de recours vers lequel nous tourner, ou de représentant suffisamment puissant à qui soumettre ces éléments sans nous mettre, et le mettre, dans une situation dangereuse.

En repartant du journal de bord que nous tenions traditionnellement au fil de nos expéditions sur tout le continent, j’ai donc cherché à consigner ici le plus de détails possibles, pour que peut-être, un jour, ces informations puissent tomber entre des mains qui sauront leur donner un sens.

Vers qui se tourner aujourd’hui ? A qui confier nos aspirations supérieures si les Treize ne sont pas ce qu’ils disaient être ? A quelle divinité s’en remettre ?

En l’absence de réponse à ces questions, je ne peux qu’espérer que le destin se montrera magnanime pour l’avenir de notre continent et de ses habitants.

Fini de rédiger à Istras, en Avril 3431 du Second Âge.

Istras, le 14 janvier de l’an 3431, second âge.

L’hiver est en train de se terminer. Pendant cette période de l’année, les affaires sont plus calmes, aussi la passons nous régulièrement dans la région d’Istras, que nous apprécions particulièrement.Nos affaires ? Elles consistent à « guider », c’est à dire escorter et protéger, des marchands ou des voyageurs qui veulent se déplacer sur le continent. Car les routes ne sont pas si sûres que cela … Et nous veillons avec beaucoup de professionnalisme à faire en sorte que chacun en ait bien conscience.

Avec « les jumeaux elfes », vous êtes en sécurité.

Si nous n’entretenons pas notre fonds de commerce, et notre réputation de professionnalisme et de fiabilité, qui le fera pour nous ? Et de fait, nos affaires sont plutôt florissantes.Pourtant, il faut bien l’avouer, les routes ne sont pas si risquées que cela …

Enfin, elles n’étaient pas si risquées que cela. Car un événement récent a un peu changé notre perception de la chose. Il y a environ six mois, un guidage que nous faisions d’Istras à Matang a failli mal se terminer. Alors que nous étions attaqués par une troupe d’orcs, et que la situation était déjà tendue, un autre groupe avait surgi, et nous avait mis en grande difficulté. Un combat intense et violent avait fait rage pendant un long moment. Tamior, mage pourtant expérimenté, avait épuisé tous ses sorts avant que nous n’ayons pu venir à bout de nos assaillants, menés par un orc d’une taille et d’une puissance impressionnantes. Nous étions tous blessés, et il s’en était fallu de peu qu’il n’y ait des morts dans nos rangs.

Depuis lors, nous avons particulièrement soigné la sélection de nos guidages et redoublé de prudence pendant nos trajets. Bien qu’il n’y ait pas de guilde pour notre profession, nous nous connaissons tous de près ou de loin. Et nous appliquons de façon encore plus rigoureuse nos routines de reconnaissance avec les confrères guides que nous pouvons être amenés à croiser lors de nos périples.

Comme à l’accoutumée, nous avons passé l’hiver au calme, en maintenant une activité régulière à titre d’entraînement, histoire de ne pas être à court de forme si une mission se présentait à l’improviste.

Notre contact à Treskians, qui nous alertait si des affaires nous étaient proposées, ne s’était pas manifesté de l’hiver. Aussi avons nous repris la route de la ville au printemps, pour y retrouver notre "chez nous" un peu poussiéreux. Après le ménage qui s’imposait, nous avons commencé le tour des auberges pour prendre le pouls de la ville et signaler notre retour.

A "La patate douce", Miltork, l’aubergiste, se répand en lieux communs :

- oh, vous savez, l’hiver a été comme les affaires, bien rude, et les voyageurs se font rares ! Regardez-moi ça, fait-il en montrant sa salle du doigt, quasiment désert ! Il est temps que les affaires reprennent. J’espère que vous annoncez le printemps, termina-t-il dans un éclat de rire.

Et en effet, seuls dans la grande salle de l’auberge, trois hommes étaient en train de s’installer.

- Quasiment désert, pas complètement, c’est un bon début, maître Miltork, non ? Lui lance Bardaël
- Epargnez-moi vos sarcasmes, Messire Bardaël, ce sont les premiers marchands que je vois depuis le solstice …
- Allez, le console Danaël, c’est le début d’une longue série, ne vous inquiétez pas. Nous avons les mêmes préoccupations que vous ! Et ils marchandent quoi, vos marchands ?
- Je ne sais pas, ils ne sont pas très loquaces. Ils sont arrivés aujourd’hui, et comptent rester en ville environ une semaine. Mais ils ne m’ont pas dit vers où ils repartaient.

Nous notons l’information précieusement, et nous rendons ensuite vers la guilde des marchands. C’est le meilleur endroit de la cité pour proposer ses services, et c’est parce que nous soignons notre réputation que nous y avons nos entrées.

On nous informe de la présence d’un groupe de marchands susceptibles d’être intéressés. Ils sont arrivés hier, et résident à l’auberge "La patate douce". Ceux que nous avons vus, donc. Ils sont dans le négoce de tissus, et arrivent d’Asina, en aval sur le fleuve. Des habitués de la cité. En règle générale, ils repartent vers Gursan ou Emdir, au sud-est. Ils convoient souvent de grandes quantités de biens, répartis dans plusieurs charriots. Et pour assurer leurs déplacements avec cette marchandise de valeur, ils font fréquemment appel à plusieurs groupes de guides pour disposer d’une escorte de 10 à 12 hommes très entrainés.

Un autre groupe de marchands devrait arriver à Treskians dans 2 à 3 jours. Ils viennent du sud, et sont dans le négoce de boisson.

Enfin, il y a des pèlerins au temple des treize qui pourraient aussi avoir besoin de nos services.

A nous de transformer ces opportunités en affaires.

Nous décidons de commencer par le temple. Les pèlerins peuvent être des voyageurs intéressants. Ils ne transportent presque jamais de biens de valeur et, de ce fait, n’intéressent pas les bandits de grand chemin. Autant de risques en moins pour nous. Reste à voir s’ils payent correctement. Mais chaque chose en son temps.

Nous nous présentons au temple, et sommes accueillis par un novice.

- Je vous souhaite la bienvenue dans le temple des treize, mes frères. Que puis-je faire pour vous ?
- Bonjour, mon frère, répond Danaël. Nous sommes guides, et nous avons entendus dire que vous accueilliez en ce moment des pèlerins.
- Ah … Oui, en effet. Ils sont arrivés hier. De Trimis, je crois, et avant, ils étaient passés par Sorkas et Angtis.
- Jolie promenade … Et vous savez où ils vont ? l'interroge-je.
- Ah, non … aucune idée. Je peux le leur demander, si vous le souhaitez ?
- Vous êtes bien aimable. S’ils ont besoin d’être convoyés, on peut nous trouver à l’auberge de la Patate Douce.
- Je leur transmettrai, mon frère.
- En vous remerciant, mon frère. Puis, me tournant vers Danaël avec un clin d'œil. Tu viens mon frère ?

Nous décidons de retourner à notre quartier général. Nous passons, mon frère Danaël et moi, le reste de la journée à nous entraîner, tandis que Tamior et Bardaël font la tournée des auberges de la ville.

Les jours suivants s’écoulent sans évènement notable. Dans la matinée du quatrième jour, un jeune messager se présente à notre demeure. Il est envoyé par le temple. Notre visite avait porté ses fruits. Les pèlerins recherchaient des guides, et les tarifs seraient même négociables à notre avantage. Que demander de plus ?

Nous nous rendons à trois au temple, laissant Bardaël finir sa nuit. Nous y retrouvons le novice qui nous avait accueilli quelques jours plus tôt. Il nous introduit auprès du responsable du groupe de pèlerins. L’homme a une cinquantaine d’année, il est grand, sec, au sens propre comme au figuré, et nous tourne autour comme s’il voulait nous flairer. Après de longs instants d’observation, il finit par nous adresser la parole.

- Nous allons, avec mes frères pèlerins, de ville en ville, et nous méditons sur le salut du monde. Alors nous cherchons des guides qui pourraient nous escorter pendant notre voyage. Nos tarifs sont intéressants.
- Soit. Et vous allez où ?
- Les treize ne nous ont pas encore indiqué notre prochaine étape.
- Ah … C’est problématique. Nous voulons bien vous guider jusqu’à votre destination, mais si vous ne savez pas où vous souhaitez aller, cela va être plus compliqué.
- Non, ce n’est pas grave. Vous savez, notre voyage est long, et de toutes façons, vous serez contents de votre rémunération. Nous vous paierons une fois et demi le prix que vous demandez habituellement.
- Ah …
- Et votre retour sera payé aux mêmes conditions, et ceci même si vous revenez sans nous.
- Intéressant. Et, vous êtes combien ?
- Nous sommes une demi-douzaine, mais ce nombre peut varier.
- Plus précisément ? Vous comprendrez que, pour assurer correctement votre sécurité, votre nombre est important pour nous.
- Ne vous inquiétez pas, reprend le prêtre avec la même froideur, en donnant l’impression de ne pas avoir porté le moindre intérêt à mon argument, nous vous défrayerons en fonction de notre nombre réel.

J’étais à la fois perplexe, agacé par le comportement de mon interlocuteur, et, il faut bien le dire, intéressé par le caractère très rémunérateur de cette proposition.

- Et, vous avez des bagages ?
- Nous avons tout ce qu’il faut, notre chariot avec des bœufs.
- Soit. Et, une fois que vous connaîtrez votre destination, est-ce qu’elle sera "définitive", ou est-ce que les treize pourront vous en faire changer en cours de voyage ?
- Non. Notre destination sera fiable.
- Bien.
- En général …
- Hmmm …
- Et pour le règlement, nous vous paierons la moitié au départ, et le reste à l’arrivée de chaque étape. Qu’en dites-vous ?
- Nous devons en parler entre nous. Quand devez-vous partir ?
- Après-demain, de très bonne heure.

Après une discussion rapide en aparté avec mon frère, nous répondons positivement à l’offre.

- Bien. Dans ce cas, nous vous donnons rendez-vous après-demain matin, à 6 heures précises, à la porte Sud de Treskians.
- Y a-t-il des précisions particulières que nous aurions besoin de connaître, en particulier sur notre itinéraire ?
- Nous aurons au moins 17 jours de voyage. Est-ce que cela répond à votre question ?
- Humpf … Soit.

Notre rémunération pour cette mission sera de 2,5 pièces d’or, dont une pièce payée avant le départ. Nous nous donnons rendez-vous au temple le lendemain soir pour la première partie du règlement.

Dans l’intervalle, il nous faut embaucher quelques compagnons de voyage pour que notre escorte soit à même d’assurer la sécurité de cette approximative demi-douzaine de pèlerins.

Retour à "La patate douce". Nous y avions croisé la veille Berkol, un jeune guerrier que nous avions déjà employé dans une mission du même type. Nous l’y trouvons, attablé avec deux collègues. Ils feront tous trois partie du voyage.

Nous compléterons notre groupe avec un druide, Elark, que Bardaël avait rencontré dans la journée lors d’une visite chez un herboriste. Se déplacer avec quelqu’un doté de pouvoirs de soins pouvait s’avérer une précaution utile. L’homme, bien que sentant assez fort, avait l’air d’être un compagnon de route agréable.

Le reste de la journée et le lendemain sont occupés aux ravitaillements et préparatifs divers.

Le lendemain en fin d’après-midi, nous allons encaisser notre acompte au temple, et nous déposons tout de suite la somme, conséquente, à la Banque Centrale de Treskians, avant de rentrer chez nous pour une dernière nuit avant le départ.

A l’aube, nous retrouvons le groupe de pèlerins à la porte Sud de Treskians, comme convenu. Enfin, nous supposons que nous les retrouvons, car nous ne voyons que leur guide, avec qui nous avions négocié au temple, et un étrange chariot, tiré par 4 bœufs et conduit par un cocher.

Le chariot ressemble à une longue caisse, d’environ cinq mètres sur trois, et d’environ deux mètres de haut, avec une garde au sol d’environ un mètre. Il n’a aucune ouverture, si ce n’est une porte à l’arrière. Son apparence a autre chose de "dérangeant", d’inhabituel, mais l’obscurité du petit matin nous empêche de discerner plus de détails.

- Vous êtes au complet ? J'interroge.
- Oui, mes frères sont déjà à l’intérieur.
- Nous allons pouvoir partir ?
- Oui.
- Quelle sera votre direction ?
- Notre destination sera Arnklar. Nous passerons par Asina, puis Kailam.
- Mais c’est au Nord !
- Oui.
- Et nous sommes à la porte Sud.
- Oui.
- Hmmm …

Je levai les yeux au ciel, en me tournant vers mon frère d’un air désespéré. Danaël ne put que me retourner le même regard, les mains écartées, avant de prendre la parole.

- Nous allons placer un garde sur le toit du chariot. Celui nous perm …
- Non. Ce n’est pas la peine, l’interrompt le guide des pèlerins. Cela pourrait déranger la méditation de mes frères, sans compter qu’avec les cahots du chemin, cela pourrait être dangereux pour votre homme.
- Mais, c’est …
- Ne vous inquiétez pas, c’est mieux comme ça.

Danaël abandonne, agacé avant même d’avoir pris la route. Le voyage ne s’annonçait pas sous les meilleures auspices.

Avec la lumière du jour, nous discernons mieux ce chariot. Outre son absence de fenêtre, il a en effet une particularité. La partie haute est comme "cerclée" d’une couronne de métal, en déborde sur le reste du véhicule.

Ces pèlerins étaient décidément peu ordinaires.

Je décide de partir en éclaireur avec l’un des gardes, accompagné par mon faucon, qui passe le gros de ses journées sous forme de statuette dans ma poche. Le druide suit le chariot à pieds, vadrouillant de tous côtés, et le reste de l’équipe va et vient, à son rythme, autour de l’attelage, conduit par le cocher et le guide des pèlerins à ses côtés.

A midi, nous faisons une pause.

Le guide des pèlerins semble contrarié.

- Pourquoi s’arrête-t’on ? Nous devons continuer.
- C’est à dire qu’il est midi, lui répond Danaël, nous allons déjeuner.
- Non, il faut continuer. Nous n’avons pas besoin de déjeuner !
- Vous non, mais les hommes oui, et les bêtes ont besoin de faire une petite pause.
- Non, non ! Continuons ! Nous aurons un repas tous ensemble ce soir. C’est préférable.

Je cède, de plus en plus agacé.

- C’est bon, on repart ! Nous mangerons à cheval.

Et le cocher de faire redémarrer le chariot.

Danaël n’était pas le seul à être agacé par les caprices de ces pèlerins, ou tout au moins, de leur représentant. Moi-même, ils commençait déjà à m’horripiler, ce qui n‘était pas bon signe après une demi-journée de trajet. Quant aux hommes, ils ne cachaient pas leur ennui à devoir manger à cheval et y passer le reste de la journée.

Pour détendre l’atmosphère, Bardaël entonne un chant. Avant même qu’il n’ait finit sa première rime, le guide des pèlerins s’était tourné vers moi, et m’avait jeté d’un ton froid et méprisant :

- Demandez-lui d’aller chanter plus loin ! Il trouble la méditation de mes frères …

Le voyage s’annonçait vraiment très ennuyeux. Non, en fait, ennuyeux aurait été préférable. Mortellement ennuyeux, avec des commanditaires imprévisibles et irrationnels, qui allaient probablement nous empêcher de faire notre boulot correctement, en tous cas de façon agréable, ce point était déjà acquis.

Nous tuons le temps en chassant un peu, et en faisant faire un petit galop à nos montures de temps à autres. Danaël réussit à ramener un chevreuil, ce qui réjouit nos compagnons d’infortune, mais c’était sans compter sur le druide, qui semble logiquement beaucoup moins joyeux que les autres à l’idée de manger une jeune chevreuil qui batifolait dans les bois avec insouciance quelques heures plus tôt.

Alors que l’après-midi de la première journée de voyage touche à sa fin, le guide des pèlerins me fait signe.

- Voila !
- Voila quoi ?
- Nous allons nous arrêter ici.
- Ici ? Maintenant ?
- Oui. Ici. C’est très bien ici.
- Mais il est encore tôt, nous pouvons continuer encore un peu. Au rythme où nous avançons, il est préférable d’allonger un peu les journées.
- Non, ici, c’est très bien ! Nous nous arrêtons.
- D’accord. Les gars, on pose le campement ici.

Chaque étape potentielle allait devenir compliquée à gérer. S’arrêter quand on ne le voulait pas, ne pas s’arrêter quand on le voulait, pas facile d’être guide dans ces conditions.

Néanmoins, le campement est installé rapidement, un feu est monté, Danaël dépèce le chevreuil. L’odeur de viande grillée commence à envahir l’atmosphère qui se rafraîchit dans le soir qui tombe.

Le cocher emmène des assiettes vers l’arrière du chariot. De là où il est, Bardaël voit une silhouette dans l’encadrement de la porte arrière du chariot. Un homme reçoit les assiettes qu’apporte le cocher, et les fait passer vers l’intérieur.

- Je vais aller méditer dedans, nous dit le guide des pèlerins en se dirigeant vers l’entrée du chariot. Avant d’ajouter, nous allons isoler le chariot pour être tranquille pendant la nuit, et de refermer la porte derrière luit.

Puis, de la couronne de métal, des rideaux, métalliques eux aussi, commencent à descendre sur les quatre faces du chariot, avec de petits grincements, jusqu’à atteindre le sol et les recouvrir complètement. Un chariot en armure ! Nous n’avions jamais vu cela.

Nous nous regardons avec stupéfaction. Le cocher a une petite grimace, entre sourire et dépit.

- Oui, la première fois, ça surprend, forcément.
- Tu les accompagnes depuis longtemps ?
- Pas vraiment. Ils m’ont engagé à Trimis. Ils sont bizarres, hein ? …
- Rien de le dire ! Tu as déjà vu les pèlerins qui sont à l’intérieur ?
- Oh, oui. Mais, je ne les ai jamais vu sortir de leur chariot pendant les trajets !
- Hein ? Ce n’est pas possible.
- Si, je t’assure. Ils disent qu’ils « méditent » tout le temps. Je ne sais pas trop ce que c’est, mais ça les occupe drôlement !

Le dîner se termine, et des tours de garde sont mis en place. La nuit est découpée en quatre tours, et chacun d’entre nous, associé à un garde ou au druide, en prendra un.

Le début de nuit est calme. Le cocher se tourne sans cesse dans sa couverture, semblant avoir du mal à trouver le sommeil. Evidemment, passer sa journée à somnoler sur un chariot n’aide pas à s’endormir facilement une fois le soir venu.

Dans la deuxième moitié de la nuit, Tamior, qui avait pris ce troisième tour de garde, entend un bruissement d’arbre peu naturel quelques mètres derrière lui. Quelque chose, ou quelqu’un, rodait autour du campement.

Je suis réveillé instantanément. Alors que Tamior m’explique rapidement ce qu’il a entendu, c’est le druide qui apparaît, sortant d’un bosquet avec nonchalance …

Tamior le tance vertement.

- Non, Elark, tu ne peux pas te comporter comme ça, te promener en pleine nuit sans te signaler. Tu prends, et tu nous fais prendre, de gros risques !
- Ouihhh … C’est bon … Pas de quoi en faire un drame. C’est moi, tout va bien.
- Non, tout ne va pas bien. Je viens de te dire qu’en te promenant tout seul la nuit en forêt, tu prends le risque de prendre bêtement une flèche dans le ventre en nous surprenant pendant un tour de garde, ou encore de croiser une patrouille d’orcs, ce pour quoi nous montons la garde.
- Mais je vous assure, tout va bien. Il n’y a pas d’orcs dans les parages, je vous l’assure, quant aux tours de garde, vous m’avez tout l’air d’avoir du sang-froid. Allez, bonne nuit, je vais me coucher.

Elark était gentil, et il connaissait très bien la forêt, mais il était un peu particulier, et peu adapté à la vie en communauté.

Un peu dépité, Tamior finit par passer le relais à Bardaël pour le dernier tour de garde, et va se coucher.

Au petit matin, le campement commence à s’éveiller. Alors que l’eau est en train de chauffer pour le petit déjeuner, un grincement se fait entendre du côté du chariot. Le rideau métallique est en train d’être remonté. Avant que le guide des pèlerins ne sorte du chariot, Bardaël se précipite et se glisse dessous, afin de pouvoir examiner cet étrange véhicule sous un autre angle.

La seule particularité qu’il y découvrira est un trou, d’un diamètre d’une main, dont le pourtour est festonné d’excréments. L’évacuation de latrines. Tout était visiblement prévu pour que ces pèlerins n’aient pas besoin de quitter ce logement mobile au cours de leur voyage.

Après le petit-déjeuner, le guide des pèlerins vient nous voir.

- Nous pouvons y aller ?
- Si vous êtes prêt, oui !
- Nous sommes prêts, allons-y.

Une seconde journée de voyage commence. Tout aussi passionnante que la première, à base de déplacement très lent, de déjeuner sur le cheval et d’ennui mortel, jusqu’au soir …

Après le repas du soir, alors que Bardaël chante, pas trop fort et pas trop prêt du chariot, nous profitons d’une choppe de bière, pour nous mettre du baume au cœur. Nous comprenons pourquoi l’équipe de guides de l’étape précédente n’a pas postulé pour continuer le trajet …

La nuit se passe sans rien de notable.

Au matin du troisième jour, alors que nous commençons à chevaucher tranquillement, Danaël me glisse discrètement :

- Je me sens bizarre, ce matin …
- Comment ça, bizarre ? Tu as mal dormi ? Il y a quelque chose que tu n’as pas digéré ? tu peux préciser ?
- En fait, non, pas vraiment. Ce n’est pas une sensation que je connais. C’est … comme s’il me manquait quelque chose. Je n’arrive pas à savoir si j’ai oublié quelque chose d’important en partant de Treskians, ou si c’est autre chose …. Toi, tu ne ressens rien de particulier ?
- Non … je ne crois pas … encore que … maintenant que tu me le dis, c’est en effet assez bizarre. Ce n’est pas très marqué, mais il y a peut-être quelque chose comme ça ! Avant d’ajouter, j’ai peut-être oublié quelque chose de moins important que toi !

Nous en parlons à Tamior. Lui aussi a cette même sensation, aussi marquée que mon frère. En revanche, Bardaël ne semble pas concerné.

Pendant la journée, nous abordons la question avec les trois guerriers qui nous accompagnent. Eux aussi ont eu cette sensation, mais elle s’est estompée au fil de la journée. Elark quant à lui, est interrogé à ce sujet le soir, après le dîner. Lui aussi nous dit avoir eu cette sensation toute la journée.

Il ne pouvait pas s’agir d’une impression liée à l’oubli de quelque chose d’important, sinon nous n’aurions pas partagé cette sensation.

- J’ai peut-être une idée, finit par dire Bardaël, après quelques instants de silence collectif.
- Oui ? … l’engage à répondre Tamior.
- En fait, ce qui vous manque, c’est de guider des clients normaux. Parce qu’excusez-moi, mais ceux-là, il y a vraiment quelque chose qui ne tourne pas rond chez eux !
- Très drôle ! lui répond Danaël. Et toi, ça ne te manquerait pas, donc ?
- Ah moi, c’est différent. Je sais où est l’essentiel dans la vie. Je sais réconforter l’âme des hommes et des demi-elfes, y compris la mienne … s’exclame-t’il en riant.

Les discussions vont bon train, assez tard, et des hypothèses aussi fumeuses qu’improbables sont émises de part et d’autre. Mais la discussion finit toujours par revenir sur ces pèlerins.

- Et si c’était la proximité de ce chariot, qui n’est pas très classique, vous serez d’accord, qui était la cause de nos tourments ? finit par évoquer Tamior.
- Pourquoi pas ? lui répond Danaël. Pas plus improbable qu’autre chose. Je passe pas mal de temps à côté, c’est vrai. Mais Elark, le druide, il vaque à ses occupations sans trop coller au reste du groupe, et il a l’air d’avoir les mêmes symptômes que moi …
- Il est peut être plus sensible, lui réponds-je. On peut toujours essayer de vérifier cette hypothèse cette nuit. Nous allons dormir à bonne distance du chariot. On verra bien demain.

Les quatre tours de garde de la nuit se déroulent sans évènement particulier.

Au réveil, chacun fait l’examen de ses sensations. Globalement, personne n’a à se plaindre de sensation particulière.

- Et voila ! Je suis fier de mon frère, lance Bardaël. C’est le plus discret de nous tous, mais il a mis le doigt sur la solution du premier coup ! Tiens, je parie qu’en plus, ce chariot suinte la magie à plein nez !

Et le barde de commencer à chantonner, les yeux fermés, une main ouverte devant lui, paume vers l’avant. Après une minute de concentration, il rouvre les yeux, l’air dépité.

- En fait, non. Rien de rien. Pas de magie dans ce chariot !
- Tu vois, moi aussi, je suis fier de Tamior, lui lance Danaël, avec un clin d’œil. Mais j’ai peur que nous devions chercher un peu plus l’origine de tout cela.

Les journées défilent alors, lentement, très lentement, d’un ennui mortel, au fil des exigences irrationnelles du guide des pèlerins. Nous utilisons ces jours et ces nuits pour essayer de comprendre ce qui pourrait nous causer ces étranges sensations. Mais rien ne nous apparaît clairement : certains pouvaient être touchés alors que d’autres étaient épargnés, ce qui valait un jour ne valait pas forcément pour le lendemain.

Tous, sur ces pénibles journées, avons ressenti cette désagréable impression que nous avions perdu, ou que nous étions en train de perdre quelque chose, sans jamais pouvoir identifier la nature de cette perte.

Après 17 jours dans ces conditions, enfin, Arnklar se présente à nous. Le guide des pèlerins indique au cocher de mener le chariot jusqu’à une petite chapelle situé dans la ville haute.

- Voilà, nous y sommes. Nous déclare-t’il d’un ton aussi monocorde que d’habitude. Je vais vous faire envoyer votre dû. A quelle auberge descendez-vous ?
- A l’Auberge du Nord, lui réponds-je après un coup d’œil rapide à Danaël.

Puis il s’éloigne et rentre dans le temple.

- Bon, eh bien moi, je vais y aller. Salut la compagnie ! nous lance Elark, en s’éloignant déjà de nous de son pas leste.
- Bonne route ! lui répond Bardaël, suivi d’un triple Salut l’ami ! de Tamior, Danaël et moi.

Puis, nous restons discuter avec le prêtre qui nous a accueilli pour essayer de mieux cerner nos étranges voyageurs.

- Alors, comment s’est passé votre trajet, mes frères ? nous demande-t’il.
- Oh, c’était un trajet assez habituel, lui répond Danaël. Nos voyageurs ont pu arriver à leur destination, c’est le plus important. Mais il nous faut toujours être vigilant, car les traces d’orcs ne sont pas rares, ici comme ailleurs.
- L’essentiel est en effet d’arriver à bon port. Mais les treize veillent sur vous, vous n’avez pas à vous inquiéter …

Danaël semble sans voix au moment ou le prêtre lui fait cette déclaration, et j’en profite pour essayer d’en savoir plus sur ces pèlerins.

- Et dites-moi, vous avez beaucoup pèlerins qui s’arrêtent à Arnklar ?
- Oui, ces derniers temps, ce type de méditation se développe beaucoup ! On voit des pèlerins passer régulièrement, certains mêmes reviennent plusieurs fois !
- Ah bon ? Et ceux-ci, que nous avons guidés depuis Treskians, vous les aviez déjà vu passer ?
- Eux, je ne sais pas, mais leur guide oui. C’est sûr. Il est passé il y a quelques mois avec un groupe.
- Vraiment étonnant.
- Pourquoi, mon fils. La méditation et la prière sont des chemins qui élèvent l’âme. Il est bon des les arpenter souvent et longtemps.

Alors que c’est à mon tour de marquer un temps d’arrêt devant cette déclaration, mon jumeau reprend la main.

- Eh bien mon père, nous vous souhaitons une bonne journée, nous allons rentrer à notre auberge.

Laissant Bardaël qui souhaite surveiller la sortie des pèlerins, Tamior, Danaël et moi nous retirons, accompagnés par notre petite troupe des trois guerriers, jusqu’à l’Auberge du Nord. Là, autour d’une choppe de bière, la conversation reprend.

- Je ne sais pas pour vous, mais moi, ces deux semaines et demi m’ont paru une éternité, nous dit Berkol, pendant que ses deux collègues, de part et d’autre de lui, hochaient la tête en signe d’acquiescement.
- Et pour nous donc … Tu n’imagines pas à quel point leur guide m’horripile ! lui répond Danaël. Cette façon de refuser le bon sens et d’asséner des choix incohérents avec autant de calme. Enfin, plutôt, autant de froideur, comme s’il vivait dans un monde dans lequel la raison n’a pas cours.
- Il faudra que nous nous interrogions sur ce que nous faisons au cas où ils nous proposent de continuer avec eux, reprends-je.
- Ah, ne parle pas de malheur !
- Oui, je sais, mais c’est quand même l’un des guidages les plus rentables que nous n’ayons jamais faits.
- En tous cas pour nous, c’est tout vu, jette Berkol, même si c’est rentable, nous ne ferons pas un jour de plus avec cette troupe de pèlerins dérangés.
- Je vous comprends, lui réponds-je, mais dans notre métier, il faut parfois trouver le compromis entre la rentabilité, les risques et le plaisir. Là, on sait sur quoi on le fait, le compromis. Réfléchis bien !
- Désolé, c’est trop pénible de voyager dans ces conditions ! Ce sera sans nous.
- Il n’a pas tort, Tanaël, m’interpelle Tamior, moi même, je suis un peu au bout du rouleau. Sans compter cette désagréable impression d’avoir oublié quelque chose. Insupportable sur la durée. Plus je cherche, moins j’ai d’idée de ce dont il pourrait s’agir, et plus j’ai l’impression que c’est quelque chose d’important. Je ne sais pas pour vous, mais je finis par trouver ça angoissant.

Alors que nous cherchons quelque chose à dire pour lui remonter le moral, Bardaël nous rejoint.

- Alors ? lui demande Tamior.
- Hmmm, gromelle le barde en lampant une gorgée de bière. Eh bien, il y avait bien des pèlerins dans ce chariot. Mais à part le confirmer et ajouter qu’ils étaient 5, je ne pourrais pas dire grand chose de plus. Quelques minutes après votre départ, je les ai vu descendre, encapuchonnés comme des filles de joie, et filer dans le temple. Rien de plus.
- Bon, ça veut juste dire qu’ils ne se sont pas volatilisés pendant le trajet. Et encore … ajoute le mage.
- Ça m’intrigue tout de même, reprends-je. J’irais bien jeter un œil de plus près à ce chariot.
- Si tu veux, me répond mon frère jumeau. On a fini nos bière, la journée touche à sa fin, on peut faire un petit tour jusqu’au temple, ça n’engage à rien.

Nous repartons vers le temple. Lorsque nous arrivons aux écuries qui le jouxtent, deux garçons d’écurie sont en train de s’affairer autour du chariot, et la porte arrière est ouverte. Chacun leur tour, ils en ressortent avec des couvertures, qui ont du servir au couchage des pèlerins pendant tout le voyage. Après quelques minutes à les observer, nous nous disons, sans avoir besoin d’échanger le moindre mot, qu’il n’était pas utile d’y passer plus de temps ce soir, mais qu’une visite de ce chariot pourrait, ultérieurement, nous en apprendre un peu plus sur ses occupants.

Le lendemain matin, aucun d’entre nous ne ressent cette sensation particulière, assez agaçante, de manque. Enfin si, quelque chose a disparu de notre environnement, ce sont les pèlerins et leur guide insupportable. Mais cela ne nous manque pas.

Après un rapide petit-déjeuner, nous nous dirigeons à nouveau vers le temple. A part une vieille femme bigote, il est vide. En nous aventurant dans les annexes, nous finissons par tomber sur le prêtre en train d’officier. C’est celui qui nous avait accueilli hier.

- Bonjour mes fils.
- Bonjour mon père, lui réponds-je
- Que puis-je faire pour vous ?
- Eh bien, nous cherchons nos pèlerins. Nous voudrions parler un peu avec eux de la suite de leur voyage avant de leur donner notre réponse.
- Ah … Je comprends. Ils sont à l’Auberge du Poisson Frit.
- Je vous remercie. Nous vous souhaitons une bonne journée.

Après un petit tour dans la ville, nous nous retrouvons en fin de matinée à l’auberge. Contrairement à ce que son nom laisse présager, elle ne sent en rien le poisson. La salle commune n’est pas vide, mais ne semble peuplée que de quelques habitués. Nous nous installons et interpellons l’aubergiste.

- Aubergiste ! crie Bardaël.
- Oui mes seigneurs, crie l’homme depuis l’arrière de son comptoir. Je suis à vous tout de suite. Il dépose un pichet de vin sur l’une des tables situées sur son passage et se dirige vers nous. Voilà. Voilà. Qu’est-ce que je vous sers, Messires ?
- Qu’est-ce que vous avez pour déjeuner ?
- On m’a ramené un chevreuil hier, alors aujourd’hui, j’ai du chevreuil. En ragout. Une spécialité de la patronne. Ça se laisse manger, ajoute-t-il avec un grand sourire.
- Tentant. Répond le barde. Ça vous dit ?
- C’est bon pour moi ! Répondons-nous tous en cœur.
- Et avec ça ?
- Bière.
- Bière.
- Bière.
- Bière.
- C’est parti ! RAGOUT ET BIERE ! Hurle-t’il à l’intention des cuisines. Si tous mes clients étaient aussi simples que vous, la vie serait belle.
- Pourquoi ? Vous avez des clients difficiles à satisfaire en ce moment ?
- Oh non, en fait, c’est même plutôt le contraire … A part vous et deux ou trois habitués, je n’ai qu’un groupe de pèlerins. Ils sont cloîtrés dans leur chambre, je leur monte à manger deux fois par jour, ils n’ont aucune exigence particulière, et ils m’ont même payé plusieurs jours d’avance. De très bons clients !
- Ce sont peut-être nos pèlerins. Ils sont arrivés quand ?
- Hier soir.
- Combien sont-ils ?
- Six, répond l’aubergiste. Mais le seul à qui j’ai à faire, c’est leur guide.
- Oui. Nous voyons bien. Aussi sec à l’intérieur qu’à l’extérieur.
- J’ai connu plus détendu et plus comique, c’est vrai. Mais chacun son style, non ? En tous cas, il n’encombre pas ma salle. Il est parti au temple ce matin, et je ne l’ai pas revu.
- Il faudrait que nous passions le voir pour la suite éventuelle de notre guidage, mais je ne sais pas encore quelle est leur destination.
- Ça, ils ne me l’ont pas dit. Enfin, il ne me l’a pas dit, parce que de toutes façons, les autres ne m’ont même pas salué.

Deux garçons de salle s’approchent avec une marmite fumante et quatre pintes de bière. L’aubergiste nous souhaite bon appétit et retourne derrière son comptoir.

Pendant que nous déjeunons, nous discutons de nos activités de l’après-midi. Danaël et moi décidons d’aller discuter avec le guide spirituel des pèlerins, pendant que Bardaël et Tamior se chargerons d’aller inspecter le chariot que nous avons escorté depuis Treskians.

Tamior s’installe à l’entrée de l’écurie pour faire le guet, pendant que Bardaël, invisible, s’introduit dans le chariot.

Quelques chaises prie-Dieu, des lits superposés, pas de fenêtre, et une chaise percée comme lieu d’aisance. Vraiment étroit pour passer dix-sept jours à cinq sans voir le jour ! Sans compter l’odeur de renfermé assez marquée qui subsistait, même après une journée complète à s’aérer. Il fallait vraiment avoir une motivation à toute épreuve pour faire un tel trajet dans ces conditions ! En tous cas, l’endroit était bien ce qu’il prétendait être.

De notre côté, nous avions engagé la discussion avec le guide des pèlerins.

- Eh bien, commence Danaël, nous pourrions être intéressés pour continuer à vous guider, au moins un peu, mais nous aimerions avoir un peu plus de précisions, au moins sur votre destination.
- Ah … c’est cela ? nous répond le guide. Nous allons continuer notre trajet jusqu’à Kormis. Il faudra environ 10 jours. Puis, nous prendrons la direction des cités Ogarks. Nous prendrons le bateau à la confluence des deux bras du fleuve pour terminer le trajet.

Joli programme en perspective … L’avantage du bateau, c’est que n’aurions plus à supporter les caprices du guide des pèlerins en matière de lieu ou de durée de pause !

- Bon … répond Danaël en se tournant vers moi. Nous devons en discuter tous les quatre avant de vous donner une réponse.
- Très bien. Vous savez ou me trouver.

Nous quittons les lieux et retrouvons Tamior non loin des écuries. Il semble seul.

- Alors ? nous demande le jeune mage.
- Ils nous proposent de les accompagner jusqu’à Kormis, puis vers les cités Ogarks, lui répond Danaël.
- Ouch …
- Oui, je sais. J’ai réservé notre réponse. Bardaël n’est pas avec toi.
- Si si ! Juste à côté … Répond Tamior avec un clin d’œil.
- D’accord. Je vois.
- Tu vois ??? Tu as un nouvel équipement dont tu n’as pas parlé à ton frère jumeau ?! fais-je, feignant de m’irriter.
- Très drôle. Bon, ça vous dirait d’aller jeter un petit coup d’oeil à l’auberge. je voudrais voir ces pèlerins de plus près, et compte-tenu de la situation, je suis sûr que Bardaël pourrait faire ça discrètement.

Et nous voila repartis vers l’Auberge du Poisson Frit tous les trois, et même un peu plus. Je rentre m’installer dans la salle avec Danaël, et Tamior reste à l’extérieur pour gérer le retour de Bardaël au monde visible.

Pendant ce temps, le barde monte à l’étage. Un petit couloir dessert six portes. La poignée de la première n’est pas verrouillée. Il appuie délicatement dessus, et la pousse, pour qu’elle s’ouvre doucement, comme poussée comme un courant d’air.

A l’intérieur, un homme, seul. Visiblement pas un pèlerin. Il lâche un "Ah, c’est quoi ce bordel !" avant de faire quelques pas vers la porte et la claquer nerveusement.

La seconde poignée n’est pas verrouillée non plus. Il utilise la même méthode et la porte s’ouvre de la même façon. A l’intérieur, une table et un groupe d’homme qui semblent tous très concentrés. Aucun ne remarque que la porte s’est ouverte. Bardaël s’avance doucement. Sur la table, six écuelles, vides. Les hommes, eux, sont cinq. Ils sont en train de prier, à genoux, une capuche rabattue sur la tête. Nos cinq pèlerins, sans aucun doute.

Bardaël finit par redescendre, retrouve Tamior à l’entrée de l’auberge, et simule une entrée, comme s’il arrivait, visible, de l’extérieur. Puis, tous deux viennent s’installer à côté de Danaël et moi, nous mettent au courant de leurs explorations de l’après-midi, et nous discutons tranquillement jusqu’au soir, et rentrons dîner à l’Auberge du Nord.

Au matin, bien que nous n’ayons pas dormi dans la même auberge que les pèlerins, Bardaël ressent cette habituelle et lancinante impression de manque, ou d’absence. Mais il est le seul.

Après quelques jours de pause, et après avoir donné notre accord aux pèlerins pour les accompagner à nouveau jusqu’à Kormis, nous nous préparons à repartir. Nous avions retrouvé notre druide herboriste, qui s’était laissé convaincre de continuer car la vallée de Kormis est riche de plantes intéressantes et peu communes sur le continent, et avions recruté trois guerriers pour assurer la sécurité de l’escorte.

Comme à Treskians, le guide des pèlerins nous avait donné rendez-vous la porte Sud de la ville, alors que Kormis était franchement à l’opposé. Leurs prières aux treize ne leur avaient toujours pas donné la logique.

La première journée se révèle aussi ennuyeuse que la dernière du trajet précédent. Le soir venu, un campement est installé, et après le dîner, la garde s’organise. Danaël étant en pleine forme, il prend les deux premiers tours de garde. Je prends le second, Tamior et Bardaël prenant le dernier ensemble.

La nuit se passe calmement.

Au petit matin, alors que nous nous apprêtons à lever le camp, Bardaël s’approche de Danaël et moi qui étions en train de discuter.

- Je crois avoir repéré des mouvements suspects autour de notre campement.
- Tu peux préciser ? lui demande Danaël.
- Des orcs. Je pense qu’il y a une troupe d’orcs en embuscade.
- Ça faisait longtemps.

En quelques instants, Danaël a mis les guerriers en ordre de bataille autour du chariot, et a donné quelques ordres. Le guide des pèlerins lui, ne semble pas plus affecté que cela par l’information.

- Vous devez rentrer dans le chariot, lui dis-je. Pour votre sécurité.
- Non, ne vous inquiétez pas, ce n’est pas utile. Il répond, avec la même certitude que d’habitude, comme si je lui avais proposé de boire un verre d’eau avant de se coucher.
- Vous ne me comprenez pas, nous sommes attaqués par des orcs. Vous devez rentrer pour vous mettre à l’abri, le combat va être très violent !
- Cela n’est pas utile, ne vous inquiétez pas.

Je sentais que ce n’était pas la peine d’insister. Tout ce que je risquais, c’était de me retrouver en plein combat avec un orc et, en même temps, en pleine discussion avec un prêtre obtus sur les bienfaits de trouver un abri quand une troupe d’orcs chargeait dans une forêt au petit matin.

Indécrottable.

Un groupe de six orcs sortait d’un bosquet d’arbres. Ils se séparent en deux groupes de trois et s’avancent vers Danaël et moi. De l’autre côté du chariot, ce sont quatre de ces créatures qui se sont avancées, face à Bardaël et Tamior. Tant que nous avons l’avantage de la distance, nous en profitons.

Le combat s’engage à l’arc.

Les premières flèches fusent et touchent leur but. Danaël est particulièrement précis et bientôt, chacun de ses trois opposants est atteint. De mon côté, après un premier tir réussi, le second tourne mal. La corde de mon arc fend l’empennage de ma flèche, qui part se planter à 5 mètres de moi, pendant que la corde, bandée au maximum, claque sur l’arc qui m’échappe des mains, me déstabilisant fortement. Je me retrouve un peu étourdi, les mains nues, alors que les orcs commencent à charger.

Danaël a lâché son arc et sorti ses épées. Une lame dans chaque main, il charge lui aussi. Bientôt, le bruit des lames qui s’entrechoquent retentit dans la clairière. L’un des gardes vient à mon renfort, alors que notre herboriste s’est caché sous le chariot.

A nouveau debout, une épée dans chaque main, le garde à mes côtés, je pare les coups des orcs, et reprends doucement l’avantage sur nos adversaires. Danaël, lui, est beaucoup plus expéditif. L’un des orcs qu’il avait blessé à l’arc recule sous ses grands coups d’épée, alors qu’un autre git au sol, une jambe tranchée.

Derrière nous, de l’autre côté du chariot, Bardaël et Tamior en décousent avec leurs adversaires, avec, pour Tamior, des moyens un peu différents, mais tout aussi efficaces.

Après avoir projeté sur ses deux adversaires des filaments gluants semblables à une toile d’araignée, il provoque une pluie de pierres incandescentes qui enflamme celle des créatures qui avait été touchée par une flèche de Bardaël.

Alors que l’orc enflammé commence à hurler de terreur, le mage décroche l’étrange masse qui est accrochée à son côté. Il esquisse un large mouvement du bras, comme s’il voulait la lancer, mais le manche de l’arme reste dans sa main, alors que la masse située à son extrémité est projetée à très grande vitesse vers le second orc. Elle s’écrase dans le torse de la créature.

Le barde, lui, une épée longue dans une main, et une épée courte dans l’autre, mène la vie dure à ses deux orcs. Le premier a déjà été touché à deux reprises, et semble mal en point, alors que les grands coups d’épée bâtarde du second n’arrivent pas à atteindre leur but.

De mon côté, à l’aide d’un enchaînement de coups parfaits, la tête de l’un des mes opposants roule au sol, et le garde qui m’accompagne en profite pour achever son adversaire, qui avait déjà subi plusieurs coups en plus de la flèche qui était plantée dans son flanc.

Alors que mon frère jumeau était en situation de terminer sa part du travail, son pied droit s’accroche dans une racine, il tombe lourdement, ses deux épées dans les mains, et sa tête heurte le sol, le sonnant assez sérieusement. Le garde qui combattait à ses côtés s’interpose et met fin au combat en parant le coup de la créature avant de l’achever.

Tamior est aussi en difficulté. L’un des deux orcs auxquels il est opposé a réussi à le toucher à l’épaule, lui paralysant quasiment le bras. Bardaël vient à son secours en se déplaçant vers les orcs et en faisant son célèbre "Tourbillon défensif", une manœuvre assez impressionnante qui consiste à tourner sur soi à toute vitesse, ce qui empêche son adversaire de tenter toute attaque.

Le mage peut profiter du répit pour se reculer, et envoyer une volée de petits missiles magiques qui trouvent immanquablement leur cible.

Le combat touchait à sa fin. Il ne restait plus que deux orcs en vie, face à Bardaël et Tamior, et voyant leurs compagnons de horde décimés, ils décident d’abandonner le terrain, et de fuir. Bardaël se lance à leur poursuite, suivi par Danaël et l’un des gardes. Je leur envoie mon faucon en support, pour qu’il les guide dans leur poursuite.

Rapidement, le premier est rejoint et mis à mort. Le second aura plus de chance et leur échappera, quittant la zone sur laquelle je pouvais contrôler le rapace avant d’être rattrapé.

Au campement, nous pansons nos blessures. Même si nous n’avons à constater que des blessures légères, nous avons conscience que le pire a été évité de peu.

Pendant qu’Elark applique un cataplasme de plantes sur l’épaule de Tamior, le guide des pèlerins nous observe avec le même détachement que d’habitude. Je l’interpelle.

- Vous avez eu beaucoup de chance, il s’en est fallu de peu que nous n’ayons des blessés graves, voire pire. Vous en avez conscience ?
- Ne vous inquiétez pas. Vous voyez, tout s’est bien passé, alors ?

Je préférais ne pas me lancer à nouveau dans une discussion avec ce personnage, car c’était en fait inutile. Il n’y avait pas de discussion, il n’y avait que de mots prononcés face à un mur.

Danaël, Bardaël et le garde nous rejoignent après avoir abandonné la traque. Mon frère à l’air soucieux.

- Qu’est-ce qui te préoccupe ? Je lui demande.
- Cette attaque, tu ne trouves pas ça étonnant ?
- En fait, si, un peu. Des orcs au milieu de nulle part, je veux bien, mais étant donné le rythme auquel nous nous déplaçons, on doit être à environ une heure de cheval d’Arnklar !
- Au moins, je ne suis pas le seul à être étonné, ça me rassure ! De mémoire de guide, je n’ai jamais rencontré d’orcs à une heure de cheval d’une ville fortifiée dans laquelle on trouve des forces militaires. Il faut que l’on retourne en arrière pour informer la garde d’Arnklar.
- Non.

Visiblement, le guide des pèlerins ne partageait pas notre souci de la sécurité collective.

- Non, répète-t’il. Nous devons repartir. Nous n’avons que trop traîné ce matin.
- Trainé ! Hurle Danaël, rouge de colère. Nous vous avons défendu, en risquant notre vie. C’est certes notre métier, et vous nous payez pour cela, mais si vous vouliez que cela aille plus vite, il fallait prendre les armes et venir vous battre avec nous.
- Ne vous énervez pas. Je ne voulais pas vous offenser. Je veux simplement dire qu’après cet incident imprévu, nous devrions reprendre la route.
- Ecoutez, j’ajoute, Arnklar est encore toute proche. Il est très simple et très rapide d’aller prévenir la garde que des orcs sont à proximité de la ville. Cela bénéficiera à la sécurité de tout le monde, y compris d’autres convois de pèlerins qui n’auront peut-être pas la chance d’être escortés par des guides aussi expérimentés.
- Ne vous inquiétez pas ! Il nous faut repartir. C’est préférable. Nous devons y aller. Maintenant.

Une fois de plus, nous cédons devant l’entêtement du guide des pèlerins , Danaël ayant de toutes façons décidé de faire l’aller-retour à la nuit tombée.

La journée se déroule calmement, sans autre trace d’orcs. Après la pause du midi, Danaël ressent assez nettement cette sensation de manque qui ne s’était pas manifestée depuis quelques jours.

Le soir venu, une fois le campement monté et les pèlerins enfermés dans leur chariot, mon frère part au galop vers Arnklar. Bien que nous ayons quitté la ville la veille, il la rejoint en deux heures, prévient la garde de la rencontre que nous avions faite, et était revenu auprès de nous au milieu de la nuit.

La suite du voyage se déroule sans encombre. Pendant plus d’une semaine, nous cheminons tranquillement, traversons la vallée de Kormis, et arrivons aux portes de la ville après dix jours de trajet presque aussi ennuyeux que le précédent, par une fin de matinée de brouillard.

Comme lors de notre arrivée à Arnklar, nous accompagnons les pèlerins jusqu’à la chapelle des treize, les confions aux prêtres, et allons enfin nous poser dans une auberge.

A Kormis, l’Auberge de la Vallée pourrait s’appeler autrement et être ailleurs, mais elle s’appelait "de la Vallée" et était à Kormis. La seule chose qui y était remarquable était sa cuisine, typique de la région. Du gibier et des herbes. Goûteux. Très réconfortant, surtout après un tel trajet, réconfort encore augmenté après avoir trempé dans un bain bien chaud.

Dans le milieu de l’après-midi, alors que nous rêvassons sur les reliefs de notre repas, nous voyons tous Tamior blêmir d’un seul coup, comme s’il était saisi de vertiges.

- Qu’est-ce qui t’arrive ? s’inquiète Bardaël.
- Je ne sais pas … Bégaye presque Tamior. J’ai eu une comme … Comment expliquer ça … une sorte de …
- Une sorte de … ? Je tente de l’encourager.
- De vide ...
- De vide ? Tu peux préciser ? Lui demande Danaël.
- Oui, de manque, très fort. C’est venu d’un coup.
- Tu veux dire, cette sensation si dérangeante dont nous parlons depuis le début de notre guidage ?
- Oui, un peu, mais beaucoup plus fort, et c’est venu si soudainement.
- Et tu n’arrives toujours pas à identifier ce qui te manque ?
- Non, c’est étrange. Comme s’il s’agissait de quelque chose qui a toujours été là. Présent de façon tellement naturelle qu’on ne sait même plus que c’est là. Présent de façon tellement naturelle que lorsque cela manque, on ne sait pas identifier que cela a disparu. C’est angoissant.
- Peut-être que tu ne sais plus utiliser la magie ! …

En une fraction de seconde, nous voyons tous le visage de Tamior se décomposer, et laisser transparaître quelque chose qui ressemblait à de la terreur.

Pour en avoir le coeur net, il prend une inspiration profonde, se concentre, ferme les yeux, et fait apparaître une boule de lumière. Mais à peine celle-ci commence à se former, qu’elle explose littéralement, en un flash d’une grande violence.

- Qu’est-ce que c’était que ça ??? Demande Danaël, les yeux plissés à cause de l’éblouissement.
- Je … Je ne sais pas … répond Tamior, comme sonné. J’ai eu l’impression que la structure de la magie n’était plus la même, que la magie s’était déstructurée … Ah … Ma tête …
- Qu’est-ce qui t’arrive ? Je lui demande.
- J’ai mal à la tête … Ça doit être le flash …
- Oui, moi aussi, ajoute Bardaël. J’ai encore des points lumineux qui défilent devant les yeux, et je sens une migraine qui monte.
- C’est vraiment étrange, fait Tamior, l’air inquiet.

L’après-midi puis la journée se terminent avec cette impression de malaise.

Au petit matin, Tamior est toujours aussi préoccupé par son expérience de la veille.

- Je n’aime pas ça du tout. Il doit y avoir un magicien en ville, il faut que je le trouve et que je lui décrive tout ça.

Après avoir interrogé quelques personnes en ville, nous nous dirigeons vers la demeure de Sesgan Pratil, LE grand magicien de Kormis et membre du Conseil Blanc. Après une rapide introduction, Tamior lui explique l’incident auquel il a été confronté.

- Ce que vous me racontez est très intéressant, d’autant plus que j’ai rencontré moi aussi un problème semblable hier après-midi. Je bois régulièrement une tasse d’une décoction que me prépare mon herboriste. Je faisais chauffer ma tasse. Je préfère utiliser la magie pour cela, ça m’évite de redescendre dans la cuisine pendant que je travaille. Et tout à coup, la tasse a littéralement explosé, comme si mon sort était hors de contrôle. Etonnant pour un malheureux petit cantrip … J’ai mis ça sur le compte d’une fragilité de la tasse, mais à la lumière de ce que vous me racontez, il faut peut être y voir autre chose.
- Vous avez ré-essayé depuis ?
- Hmmm … En fait, non … C’est intéressant. Venez avec moi.

Il attrape une tasse sur son bureau, et nous le suivons vers une petite pièce. Il referme la porte derrière nous.

- Ici, nous ne risquons rien. Si vous voulez bien essayer de chauffer le liquide dans cette tasse, je m’assurerais qu’il n’y a pas d’accident …

Tamior s’exécute. Mais il ne se produit rien de particulier, si ce n’est que le liquide contenu dans la tasse se met bien à fumer.

- Ceci est vraiment étrange. Je parlerais de tout ce que vous venez de me raconter au Conseil Blanc. Enfin, j’en parlerais à la prochaine occasion, car je ne m’y rends pas si souvent que cela. Je vous remercie de votre visite.

Nous abandonnons Sesgan Pratil, et nous mettons en recherche d’un forgeron nain, car la ville de Kormis est réputée pour ses forgerons et la qualité de leurs armes.

Bientôt, nous passons devant une échoppe qui présente quelques armes simples mais de belle facture, indubitablement naine. Connaissant le caractère des nains, nous savons que la mise en avant de quelques articles simples mais de bonne qualité est le meilleur gage de trouver en arrière boutique des armes d’exception, à des prix parfois tout aussi exceptionnels.

Nous entrons.

Après un rapide tour de la production, nous faisons mine d’être un peu déçus, sans exprimer quoique ce soit verbalement. Les armes que nous portons sur nous étant de bonne facture, le vendeur nous fait signe de le suivre dans l’arrière-boutique. Là, un maître forgeron nain, Maître Emkin, nous accueille.

La cour intérieure de la forge semble avoir été le lieu d’un incendie récent.

- Que s’est-il passé ? Je lui demande. On dirait qu’il y a eu un accident ici.
- Oui, hier après-midi, il y a eu une énorme explosion dans la forge. Sans raison. Mon apprenti est mort. Un bon petit gars, qui ne rechignait pas à l’ouvrage et à qui le métier plaisait. Quel gâchis !
- Que s’est-il passé ?
- Je ne sais pas, c’est inexplicable. Tout explosé, sans prévenir. Une explosion d’une grande violence. Pauvre gamin … Je ne pense pas qu’il ait eu le temps de souffrir, continue de le nain de sa voix rauque.
- Il y a de la magie dans cette forge ? Demande Tamior.
- De la magie ? Quelle idée ? Bien sûr que non. Depuis quand les nains ont besoin de magie pour forger des armes ?
- C’est étrange.
- Oui, et bien triste. Mais vous cherchez peut-être des armes particulières ? Nous dit le nain, le sens des affaires reprenant le dessus.
- Eh bien, nous regardions ce que vous aviez à proposer.

Le nain nous emmène alors dans une boutique plus petite située à côté de la forge.

Là, les armes qui sont exposées sont d'une qualité sensiblement supérieure à celle que nous avions vues dans la première échoppe. Pendant que nous examinons avec attention la production, le maître nain ne nous quitte pas des yeux.

- Par curiosité, dites-moi, vous êtes de la même famille ? Vous êtes tous frères ?
- Ah … eh bien, nous sommes frères et demi-frères, pour être précis.
- C'est amusant, vous me rappelez l'un de mes clients fidèles, je dirais presque un ami, une sorte d'aventurier, un humain, qui a eu je crois pas mal d'enfants. Vous lui ressemblez tous, de façons diverses, mais vous lui ressemblez.
- Et votre ami, dis-je, comment s'appelle-t-il ?
- Navildan, Leandor Navildan. Il est de Treskians.
- Et bien, pas étonnant que nous lui ressemblions tous, puisque c'est notre père ! lui réponds-je.
- Quelle coïncidence ! Je suis très heureux de vous rencontrer, nous lance le nain, l'air sincèrement réjoui. Je vous laisse regarder tout cela. Si vous voyez quelque chose qui vous intéresse, ou si vous cherchez quelque chose de particulier, dites le moi, je vous ferais un bon prix. Le même que celui que je ferais à votre père.
- Merci, Maître.

Après un tour de la production locale, nous sommes favorablement impressionnés. Néanmoins, la qualité ayant un prix (fort), nous devons limiter nos envies d’équipement haut de gamme. Alors que Danaël louche sur une sublime épée qui lui couterait une fortune et potentiellement des ennuis une fois à sa ceinture, je demande au maître forgeron s’il pourrait me confectionner un ensemble de flèches particulières, et me fournir l’arc de force qui permettrait d’utiliser tout leur potentiel …

Après une rapide discussion, Emkin me confirme que ma demande est réalisable, mais il me demande un peu de temps pour cela, environ un mois pour cause de manque d’apprenti. Je lui indique que je ne suis pas pressé, mais qu’une livraison à Treskians sera préférable, car je ne sais pas si nous aurons l’opportunité de repasser à Kormis prochainement. Nous nous mettons d’accord sur un prix, et je lui règle la moitié sur le champ.

Nous quittons les lieux, ravis de cette rencontre, en espérant pouvoir revisiter Emkin dans les mois qui viennent pour faire de plus amples affaires avec lui.

A peine sortis, nous croisons un chariot, semblable au notre, avec ses guides. Nous suivons nos confrères pour avoir l’occasion de discuter avec eux, histoire d’échanger sur ces étranges pèlerins. Il n’y a pas beaucoup à les pousser pour qu’ils commencent à s’épancher autour d’une bière à l’Auberge de la Vallée …

- Ces pèlerins sont un véritable supplice ! Commence le premier.
- Moi, ça me donne envie de changer de métier. Continue le second.
- Je n’ai jamais vécu un guidage aussi désagréable, enchaîne le troisième. Il faut supporter leurs caprices sur le chemin, le moment et la durée des pauses. On finit par se sentir mal physiquement, tellement ils nous tapent sur le système.
- Qu’est-ce que vous voulez dire par "se sentir mal physiquement" ? demande Tamior.
- Je veux dire que même s’ils nous payent bien, on en arrive à regretter un bon vieux guidage normal, avec des clients normaux et des journées normales. Ça me manque, je le sens.
- Vous ressentez une sorte de manque, c’est ça ?
- Oui, c’est ce que je viens de dire.
- C’est étrange, nous aussi, enchaîne Danaël. Ça a commencé quand, pour vous ?
- Oh, dès le départ, en fait. On s’est très vite rendu compte qu’on avait tiré le gros lot et qu’on allait en baver pendant toute la durée du guidage ! Je crains pour la suite du voyage ...
- Vous allez où ?
- Eh bien, nous devons repartir pour Osot. Mais notre destination finale sont les Cités Ogarks.
- Ah ! S’exclame Bardaël. Nous aussi !!!

Le quatrième guide arrive alors dans l’auberge, et vient s’asseoir avec ses compagnons et nous.

- Vous ne devinerez jamais ? Lance-t-il.
- Comme ça, non, lui répond le premier des guides.
- Je reviens de l’écurie, j’ai croisé Peles.
- Le guide ? demande-je.
- Oui. Vous le connaissez ?
- Bien sûr. Nous avons déjà fait des guidages ensemble.
- Il vient d’arriver, avec un chariot et des pèlerins.

Peles nous rejoint peu après, avec deux autres guides. Ils ont l’air épuisés.

- C’est un calvaire ! Je n’ai jamais vécu ça de toute ma vie.
- Tu viens d’où ? Lui demande-je.
- Je ne sais même plus ! J’ai l’impression qu’ils nous ont fait faire le tour du monde. Cela fait 52 jours que ça dure …
- 52 JOURS !!! Je comprends que vous fassiez tous cette mine …
- Nous sommes en train de devenir fous. On les a pris en charge à Dirang. Et après, ils nous ont baladés à Asatar, puis Oltan, Matang, Emdir et Kormis. Un soir, j’ai failli décapiter leur guide quand il a décidé que nous devions faire une pause au milieu d’un gué ! J’ai guidé des gens de toutes sortes, mais là, ça dépasse tout. C’est bien payé, mais c’est cher payé. Il faut qu’on s’accroche encore un peu, le temps d’arriver aux Cités Ogarks.
- Ah ! Toi aussi ? C’est également notre destination, et celle de ces guides avec qui nous discutions quand tu es arrivé.
- Il y a peut-être une grande réunion de pèlerins ?
- Peut-être, mais nous n’y traînerons pas pour proposer nos services pour leur retour. Je crois que nous aurons notre dose. Tiens, dis-moi, pendant tout notre trajet, nous avons ressenti une désagréable sensation de manque, que nous n’arrivons pas vraiment à caractériser. Tu as déjà ressenti ça ?
- C’est étrange, nous avons aussi ressenti ce que tu décris, et nous en avons pas mal parlé entre nous. Mais impossible de dire ce qui nous manque. Hier, cette sensation était beaucoup plus forte.
- Pourquoi, hier ? Demande Tamior.
- J’y pense, parce que notre magicien a eu un petit problème. Dit-il en souriant et en montrant du regard son voisin de gauche.
- Quel genre de problème ?
- Pas grand chose, il a failli se carboniser tout seul en faisant je ne sait pas trop quoi. Les autres membres de la troupe n’ont pas trop apprécié. Il faut dire que les gars devenaient nerveux ! Il s’en est fallu de peu qu’ils lui passent leur épée dans le corps !
- Tu faisais quoi, précisément, demande Tamior en s’adressant directement à son confrère.
- Oh, rien de très sophistiqué. J’attisais un petit brasero avec un sort d’air assez basique. Et d’un seul coup, le vent a pris feu ! Ma robe avec ! Jamais ressenti ce genre de chose en jetant un sort.
- Tu veux dire, comme si la magie s’était déstructurée et que ton sort ne trouvait pas la structure de l’essence dont il avait besoin pour se déployer, et que tout se faisait de façon chaotique ?
- Oui, c’est exactement ça. Comment le sais-tu ?
- J’ai eu exactement le même problème, hier, également.
- C’est incroyable !

A ce moment, un autre guide entre dans la salle de l’auberge et se dirige vers Peles. Visiblement, il vient de confirmer à son groupe de pèlerins qu’il continue à les guider.

- Eh bien, je te souhaite bon courage …
- Et tu sais où ils vont ?
- Non ?
- Aux Cités Ogarks !
- Pas très original. Je souris.
- Je confirme, ajoute Peles.
- Oui, je suis d’accord, mais en passant par Arnklar, il y a plus court ! Renchérit le guide.
- PAR ARNKLAR ??? S’écrie Danaël. Mais on en vient !

Tout cela était incompréhensible. Visiblement, tous ces pèlerins ne circulaient pas sur notre continent de leur propre chef. Tout cela était organisé. Ils utilisaient tous des chariots identiques, et se comportaient tous de la même façon. Mais les trajets qu’ils empruntaient semblaient totalement aléatoires et incohérents !

Nous passons le reste de la soirée avec nos confrères guides à échanger sur nos expériences récentes en matière de guidage de pèlerins.

Au matin, personne n’a à se plaindre l’habituelle sensation de manque. Tamior, lui, est toujours préoccupé par les perturbations qu’il a constatées dans la magie. Pour en avoir le cœur net, il se livre à une petite expérience.

Une boule de lumière commence à se former devant lui. Son éclairage comme sa forme son réguliers. A priori, tout semble normal.

Pourtant, à bien y réfléchir, quelque chose semble manquer au magicien. Difficile de mettre le doigt dessus. Peut-être l’intensité. Oui, cette boule de lumière devrait peut-être éclairer un peu plus et être un peu plus grosse.

A cette idée, une information revient en flash dans l’esprit de Tamior. Sa masse de combat ! Il s’est passé quelque chose de très inhabituel lors de l’incident de l’avant-veille. La masse était accrochée à sa ceinture, comme d’habitude. Soudain, la boule s’était décrochée ! Et une fraction de seconde après s’être écrasée à quelques centimètres de ses pieds, elle avait repris sa place à l’extrémité du manche ! Cela ne s’était jamais produit.

Cette masse était un objet étrange dont il n’avait jamais compris le fonctionnement … Un héritage transmis depuis plusieurs générations dans la branche elfique de la famille, du côté de notre mère.

Le forgeron nain que nous avions vu hier y jetait des regards très intéressés. Peut-être pourrait-il éclairer Tamior sur sa nature. Il s’y rend avec Bardaël.

Pendant ce temps, Danaël et moi essayons de trouver de nouveaux clients à guider, pour tenter d’échapper à ces pèlerins … Mais la densité de guides arrivés à bout de nerfs après des semaines de guidage de pèlerins est telle, que la tâche est difficile !

Faute de trouver des clients, nous retombons sur Elark, notre herboriste, qui nous guide chez un professionnel de ses amis pour donner une petite touche "végétale" à notre équipement.

- Elark, mon ami, que puis-je pour toi ?
- Salut à toi, Kerathiel. Comment vas-tu, vieux frère ?
- Je vais, je vais. Et toi ?
- Tant que je suis libre d’explorer les merveilles du monde, je suis le plus heureux des hommes !
- Qu’est-ce qui t’amène à Kormis ?
- Oh … Un peu le hasard, en fait, mais l’idée de me promener dans la vallée m’a plu, alors j’ai suivi des guides. Voici Danaël et Tanaël.
- Bonjour Messieurs. Il n’y a pas que vos noms qui se ressemblent, dit Kerathiel.
- Nous sommes jumeaux ! Déclarons-nous d’une seule voix.
- Je n’aurais jamais deviné, ajoute Kerathiel avec le sourire.
- Ils recherchent des herbes.
- Vous êtes au bon endroit !
- Des herbes qui pourraient ... comment dire … ne pas soigner !
- Ah … Je vois. Ne pas soigner comment ? fait l’herboriste en se tournant plus directement vers nous.
- Eh bien, ne pas soigner, mais rapidement. C’est ça. Nous recherchons un remède qui n’aurait pas de goût, pas d’odeur particulière, et qui serait très efficace pour ne pas soigner, mais très vite.
- Je vois. Je vois. Je pourrais peut-être vous proposer quelque chose. C’est à ne pas utiliser, mais avec beaucoup de précaution. Il s’agit d’un onguent dans lequel une décoction de plantes médicinales est dissout. C’est très efficace pour ne pas soigner. Le remède va pénétrer le corps du patient par une simple application sur la peau ou par absorption. Il fait effet très rapidement, calme définitivement les douleurs et plonge le patient dans le plus grand sommeil qui soit.
- Je crois que c’est exactement ce que nous recherchons.

L’herboriste se retire dans son arrière boutique, et revient avec une petite bourse, particulièrement bien fermée.

- Voici. Cette bourse contient une bourse qui contient elle-même une sachet. Veillez à conserver tout cela dans un endroit très protégé de l’humidité. Et. soyez très prudent en l’utilisant. Si votre peau rentre en contact avec l’onguent, vous risquez de ne pas vous soigner vous-mêmes.
- Nous vous remercions de votre sollicitude. Combien pour ce remède ?
- Je vous fais un prix d’ami parce que vous venez avec Elark. Est-ce que 5 pièces d’argent vous convient ?
- C’est très bien. Merci encore.

De leur côté, Bardaël et Tamior se sont rendus chez Maître Emkin pour lui montrer la masse.

- C’est un très bel objet, pas courant du tout. Je l’avais remarqué hier lorsque vous êtes passés.
- Oui, j’avais remarqué que vous l’aviez remarqué … ajoute Tamior.
- Comment l’avez-vous acquis ?
- Un héritage familial.
- Si vous songez à le vendre, je suis votre nain !
- Hélas non, Maître Emkin, j’y tiens beaucoup.
- Bien sûr, bien sûr. C’est dommage, mais je m’y attendais !
- Est-ce que vous savez comment cet objet fonctionne ?
- Pourquoi ?
- Un détail m’est revenu en mémoire. Il concerne l’incident qui s’est produit il y a deux jours. Vous savez, cette coïncidence que nous avons remarquée entre le moment de l’explosion de votre forge et des sorts de magie qui se comportaient étrangement ...
- Oui ?
- Eh bien, cette masse aussi a eu un comportement étrange. La boule à son extrémité s’est détachée seule, est tombée au sol, puis un instant plus tard est revenue se fixer à sa place.
- Plus qu’étrange. Non, Je ne peux pas vous dire grand chose sur cette masse. Tout ce que je sais, c’est qu’elle est d’origine Ogark. Pour le reste, ce savoir, comme beaucoup d’autres connaissances des Ogarks, s’est perdu. Ne me demandez pas quand, je n’en sais rien, mais ce n’est pas d’aujourd’hui. Cette disparition de leur mémoire collective, en plus de leur peuple, fait partie de la tristesse des Ogarks.

Il s’interrompt quelques instants, l’air songeur, puis semble revenir brusquement à la réalité.

- Vous voudrez bien m’excuser, mais je dois me rendre aux obsèques de notre apprenti, je ne voudrais pas être en retard.
- Bien sûr. Merci pour votre temps.

Bardaël et Tamior quittent la forge et se rendent à nouveau chez Sesgan Pradil. Là, Tamior lui raconte l’incident de la masse, puis lui fait part de son questionnement sur la baisse de l’efficacité des sorts.

- Ce que vous suggérez est très inquiétant, mais je ne l’ai pas constaté … Enfin, je n’ai rien remarqué … Venez avec moi, nous allons vérifier cela de façon plus rigoureuse.

Tamior et Bardaël le suivent jusqu’à son étude. Là, il prend un grimoire, tourne quelques pages, et tombe sur un tableau empli de mesures.

- Voila les caractéristiques d’un sort de lumière en fonction de tous ses paramètres : l’expérience du magicien qui le lance, la luminosité du lieu, etc. A présent, je vais lancer mon sort au-dessus de cette plaque. Si vous voulez bien vous écarter un peu ?

A ses pieds, au sol, une dalle de marbre est gravée de courbes et de segments gradués, de toutes les dimensions.

Une boule de lumière prend forme sous les mains du mage. Après quelques moments de concentration, la boule disparaît, et il relève la tête, livide.

- Vous avez raison, indubitablement raison. C’est terrible ! La magie est moins efficace qu’avant, il n’y a aucun doute. Cette sphère de lumière était sensiblement plus petite que ce qu’elle aurait du être. Pour ce qui est de l’intensité lumineuse, il me semble aussi qu’elle a diminué, mais il faut que je le vérifie autrement.
- Qu’est-ce que vous allez faire ? Demande Tamior.
- Je crois que je vais en référer au Conseil Blanc beaucoup plus vite que ce que je pensais. Mais pour le reste, je ne peux pas faire grand chose. Je vais essayer de comprendre ce qui se passe, de voir quels sont les types de magie qui sont concernés, d’en parler à des confrères.

Tamior et Bardaël prennent congé du magicien, et viennent nous rejoindre à l’auberge pour déjeuner. Il n’est pas besoin de discuter très longtemps pour obtenir l’unanimité quand la suggestion d’en terminer avec cet insupportable guidage est émise.

Dès le repas terminé, nous nous dirigeons tous les quatre vers le temple pour annoncer au guide des pèlerins qu’il allait devoir trouver d’autres guides. Nous le trouvons en compagnie du prêtre qui nous avait accueilli lors de notre arrivée.

- Mes fils, heureux de vous revoir dans la maison des treize, nous accueille le prêtre.
- Messieurs. Fait le guide des pèlerins avec son enthousiasme habituel.
- Nous venions vous donner notre réponse le guidage de la suite de votre parcours, répond Danaël.
- Oui ?
- Nos hommes sont fatigués, nous allons nous arrêter là.
- Bien. Mais c’est dommage, vous êtes de bons guides. Nous payons bien, et …
- Ce n’est pas un sujet financier, lance-je pour couper court. Ce que vous dit mon frère est la simple vérité. Les hommes sont fatigués par ce guidage long, ils sont loin de chez eux, et aspirent simplement à du repos.
- Très bien, je comprends.

Nous commençons à nous écarter pour prendre congé. Mais le guide fait un pas vers nous en ajoutant :

- Et bien, avant que vous ne nous quittiez, je vais vous bénir.

Nous nous reculons un peu plus vite, le saluons rapidement, et lançons un « Merci, nous vous souhaitons un bon voyage ! » en quittant les lieux rapidement pour échapper à la bénédiction.

- Pas envie de terminer comme les derniers sorts de Tamior … fais-je à Danaël avec un clin d’œil.

Une fois dehors, un sentiment de liberté nous envahit. Depuis notre départ de Treskians, nous ne nous étions jamais sentis aussi légers. En rejoignant l’auberge, nous croisons un autre guide avec qui nous avions eu l’occasion de discuter le soir de notre arrivée.

Nous nous installons autour d’une bière à notre table habituelle.

Quand nous lui annonçons que nous abandonnons le guidage des pèlerins, nous lisons instantanément sur son visage le plaisir que lui procurerait la même décision. C’est le moment que choisit Peles pour nous rejoindre.

- Peles ! Tu en veux une ? C’est ma tournée … lance le guide avec qui nous étions en train de parler.
- Envoie ! Il faut que j’aille voir ces pèlerins pour planifier la suite de leur voyage. J’ai besoin d’un remontant, parce que ça ne m’emballe pas.

Puis, il se tourne vers nous et ajoute :

- Vous, en revanche, vous m’avez l’air bien joyeux.
- Tu m’étonnes ! lui répond l’autre guide.
- Oui, ajoute Danaël, nous laissons tomber le guidage des pèlerins. Forcément, ça soulage.
- AAHHHH ! … s’écrie Peles. Vous me tentez … Les gars n’en peuvent plus, je crois que je vais faire comme vous.
- Si c’est comme ça, nous aussi on arrête. C’est déjà difficile d’être soumis à une telle torture pendant des semaines, mais si en plus, on sait qu’à côté, il y a des gars qui se la coulent douce, ce n’est plus possible !
- Bien, je crois que tous nos problèmes sont réglés, non ? Ajoutais-je en levant ma choppe de bière. Alors à la nôtre !
- A la nôtre ! répondent Tanaël, le guide et Peles.

Cette décision prise, nous avons tous le coeur plus léger. Nous passons la soirée ensemble et remontons tôt dans nos chambres afin de préparer nos affaires pour le lendemain matin.

Au réveil, nous complétons notre paquetage en cuisine avec quelques provisions de bouche, et franchissons les portes de la ville au lever du soleil. Direction, le sud. Les cités Ogarks nous attiraient, mais nous n’avions aucune envie de subir ces pèlerins quelques jours de plus pour les atteindre.

Quel bonheur de pouvoir mettre son cheval au galop, de pouvoir choisir son itinéraire, de faire une pause quand bon nous semblait.

Ce matin, la sensation de manque ne semble pas être au rendez-vous. Tamior vérifie un sort de lumière avec des abaques que lui a remis Sesgan Pradil. Sa sphère de lumière est sensiblement plus grosse qu’à Kormis, mais elle n’a pas encore une taille tout à fait normale.

Voir l’effet de sa magie diminué par … par il ne savait pas trop quoi, en fait, était vraiment quelque chose de troublant. Jusqu’où pourrait aller cette affaiblissement de la magie ? Et si elle disparaissait complètement ? Cette idée l’angoissait profondément, comme si sa propre vie était menacée. Il essayait de revenir sur les évènements récents pour les analyser à la lumière de ce qu’il avait appris à Kormis.

A bien y réfléchir, par exemple, la pluie de météores qu’il avait provoquée lors de l’attaque des orcs, le lendemain du départ d’Arnklar, lui semblait un peu faiblarde. Il y avait peut-être un peu moins de pierres que lors d’utilisations antérieures de ce sort. Et la zone d’effet était peut-être un peu plus petite. Difficile de le vérifier maintenant.

En revanche, vérifier l’efficacité d’un sort comme "Boule de feu", un grand classique, était plus facile.

La déception n’en est que plus grande. Même s’il restait impressionnant pour un novice, l’efficacité de ce sort avait sérieusement décliné. Tamior encaisse le coup.

La journée se déroule dans une ambiance partagée entre la joie d’une liberté de mouvement retrouvée, et l’inquiétude des constats qui sont faits les uns après les autres au sujet de la magie.

Le lendemain, c’est Bardaël qui s’essaiera aux boules de feu, et il arrivera aux mêmes conclusions que son frère.

Danaël, même s’il ne peut pas expérimenter dans le domaine de la magie, se livre a une expérience avec notre figurine de faucon. Le résultat n’est pas flagrant, et si nous ne cherchions rien, nous ne l’aurions peut-être même pas remarqué, mais la portée de l’animal était peut-être, elle aussi, réduite par rapport à ce que nous avions pu connaître.

Nous poursuivons désormais notre chemin vers l’est, au confluant des deux bras du fleuve qui nous mènera aux cités Ogarks. Après trois jours de chevauchée, nous y parvenons. En discutant avec les mariniers qui tiennent l’embarcadère, nous apprenons que deux chariots de pèlerins sont déjà passés ici, un la semaine dernière, et un il y a deux jours.

Nous embarquons sur une barge et commençons à descendre paisiblement le fleuve.

Après 5 jours de navigation, le capitaine nous informe que nous arrivons aux cités Ogarks. Du débarcadère, la vue que nous offrent les cités Ogarks est très surprenante. Si le voyageur s’attend à poser le pied au milieu d’une vieille ville, animée et pleine de charme, la déception sera à la hauteur de l’attente.

En fait de cité, nous découvrons des ruines, vestiges d’une ville autrefois animée et prospère. Nous prenons la direction de l’est, vers le front de mer, le coeur de la cité. De temps à autre, nous croisons un passant. Il faut attendre d’en avoir croisé plusieurs pour que, enfin, se présente un ogark.

Il semble assez déprimé. Il faut dire que la situation n’a pas l’air réjouissante. Sa cité est en ruine et son peuple dépérit. Il nous dit avoir croisé quelques chariots, avec des pèlerins. Il viendraient rendre grâce aux treize … On les aurait vus prier, face à la mer. Mais il n’en sait pas plus. Et d’ailleurs, cela ne semble pas beaucoup l’intéresser.

D’ogark, les cités n’ont plus que le nom. Au fil de nos pas, nous croisons surtout des humains, des elfes, et mêmes quelques nains ! Mais très peu d’ogarks, et, assez étonnament, aucun jeune ogark.

Nous posons nos bagages à l’Auberge de la Carpe Rieuse. Elle est tenue par un humain. Les ogarks n’y sont pas légion, mais ils représentent toutefois une partie de la clientèle. L’auberge, un vieux bâtiment de l’époque ogark, est d’ailleurs bien adaptée : sa porte d’entrée auraient pu permettre à quatre nains d’entrer simultanément … en hauteur ! A l’intérieur, deux grandes salles. Une pour les ogarks, une pour les "autres". Rien de discriminant : essayez simplement d’assoir un nain sur une chaise ogark.

- Vous auriez une grande chambre ? demande Danaël.
- Pour vous quatre ?
- Bah, oui !
- Il m’en reste une. Vous avez de la chance.
- Il y a du monde en ce moment, ici ?
- Un peu plus que d’habitude. Avec les travaux de reconstruction, il y a pas mal de main d’oeuvre.
- Mais pourquoi, de "reconstruction" ?
- Pourquoi ? Vous avez vu l’état de la ville ? Comme il y a de moins en moins d’ogarks, leurs maisons tombent en ruine. Il y a du travail. Vous voyez mon auberge ? C’est la plus grande des cités. En tout et pour tout, il doit y avoir 20 ogarks dans ma clientèle.
- Mais, des ogarks, il en reste beaucoup ? Parce que nous, nous n’en avions jamais vu avant d’arriver ici.
- Non. Peut-être 1000, 1500, je ne sais pas.
- C’est incroyable … Et c’est la reconstruction qui remplit les auberges ?
- Pas seulement. En ce moment, en plus, il y a des pèlerins. Et comme il n’y a pas tant d’auberges que ça ici, forcément, les chambres se font rares.
- Ah ? Des pèlerins ? Nous en avons vu, justement. Il y en a beaucoup ? Réponds-je.
- Je ne sais pas vraiment, mais j’en ai vu à plusieurs reprises. Ils se déplacent à la queue leu-leu, les mains dans les manches et la tête baissée sous la capuche, à petits pas réguliers. On dirait des colonies de pingouins ! Il y a les mêmes à Osot.

Une fois nos affaires posées dans notre chambre, nous ressortons et allons découvrir le quartier du port. C’est le plus vieux quartier de la ville. Il n’est que restaurations en cours et reconstructions. Difficile de l’imaginer, quelques centaines, ou milliers, d’années plus tôt, grouillant de vie ogark.

Sur le front de mer, un petit port héberge quelques bateaux de pêche. Et surtout, face à la mer, se tient une guirlande de pèlerins, immobiles, têtes baissées sous leurs capuches, visiblement en train de prier. Leurs guides, reconnaissables car ils ne portent pas la capuche, sont répartis régulièrement au milieu de cette guirlande, tous les cinq ou six pèlerins, et prient aussi, les yeux fermés.

Pendant que Bardaël vient s’aligner à côté des pèlerins pour les observer en faisant semblant de prier, Tamior s’essaye à son habituel sort de lumière, pour vérifier l’état de sa magie, mais il ne remarque rien de particulier.

Face au chapelet de pèlerins impassibles devant la présence du barde, au large, se tient une petite île, survolée par des mouettes.

Sur la gauche des pèlerins, face à l’île, une longue jetée s’avance, au bout de laquelle un monument improbable se dresse : deux colonnes, surmontées d’une sorte de linteau. La surface des colonnes est ornée de bas-reliefs de fleurs, quant au linteau, même en tentant de s’y hisser, on ne lui trouve aucun signe d’intérêt particulier. Un simple et bête linteau posé au sommet de deux piliers.

Du pied de ce "bipode", faute de lui trouver une autre désignation, Bardaël fait remarquer que les deux colonnes désignent très exactement la direction du lever de soleil au solstice d’été. Du coup, le rayon du soleil qui effleurera le sommet du linteau à ce moment viendra toucher le mur d’une vieille bâtisse ogark située un peu en retrait, face à la jetée.

La coïncidence nous intrigue, mais en nous rendant sur place, nous ne remarquons rien de particulier sur ce mur.

Nous revenons vers la jetée, et hélons un pêcheur en train de repriser un filet sur la jetée.

- Monsieur ?
- Quoi donc ? me répond l’homme en levant le nez de son ouvrage.
- Vous pourriez nous faire traverser jusqu’à cette petite île, en face ?
- Pourquoi donc ??? Il n’y a rien à y faire.
- Nous avons simplement envie de poser le pied dessus.
- Si ça vous amuse ! Après tout, je n’ai rien d’autre à faire. Allez, je vous mène là-bas pour une pièce d’argent. Mais il ne faut pas trop trainer, à cause de la marée.

Nous nous installons tous les quatre dans sa barque, et à peine un quart d’heure plus tard, il accoste sur l’îlot.

Assez aride, couverte de mousse ou d’herbe par endroits, l’île a une forme d’étoile à cinq branches, et doit faire environ 50 à 70 mètres dans sa plus grande dimension. Depuis son centre, Tamior utilise son "sort témoin". Sa lumière ne semble pas particulièrement plus grande ou plus petite qu’ailleurs. En revanche, la sphère lumineuse est assez instable, comme si elle n’arrivait pas à se maintenir d’une taille constante.

Après avoir constaté cela, faute d’autres éléments à voir sur l’île, nous revenons au bateau.

Pendant que le pêcheur nous ramène à terre, nous discutons avec lui.

- Vous avez déjà amené quelqu’un d’autre que nous sur cette île ? lui demande Tamior.
- Moi, non. Mais il y a déjà un groupe de cinglés blancs encapuchonnés qui y sont venus. Enfin, l’un a fait la traversée jusqu’à l’île sur la barque de mon cousin, tandis que les 5 autres restaient au bord, les mains dans les manches et la capuche sur les yeux.
- Ah oui ? C’était il y a longtemps ?
- Je ne sais plus, 5 ou 6 jours, peut-être.

5 ou 6 jours, comme par hazard. Cela pouvait correspondre à la date de l’incident à Kormis, le jour où la forge de Maître Emkin avait explosé.

Nous accostons. La rangée de pèlerins qui priaient sur le quai est en train de se quitter les lieux. Comme une file de petits canards qui suivent leur mère, ils s’éloignaient de la mer, à la queue leu-leu derrière leurs guides, et se dirigeaient vers une vieille bâtisse, à l’autre bout du port.

Nous les suivons un peu à distance. Etant donné l’attention qu’ils portaient à leur environnement, il n’était même pas nécessaire d’être discret.

Le soir tombait doucement.

Une fois la nuit installée, j’envoyai ma figurine de hibou, jumelle de la figurine de faucon de Danaël, faire un repérage de la bâtisse, et essayer de savoir ce qui s’y tramait.

La vieille demeure entourait une cour intérieure. Dans la cour, à part une citerne, rien de particulier. Un échafaudage se dressait sur l’une de ses façades extérieures. Son toit était en mauvais état. A l’étage, une lumière vacillait derrière un vitrage.

Le hibou vient se placer derrière la vitre. A l’intérieur, le groupe de pèlerins, avec leurs cinq guides. Les guides sont en train de parler.

- Bien, on va bientôt avoir tout connecté …

Quelque chose me semblait étrange, mais comme je recevais ces informations par le biais de ce qu’entendait le hibou, et pas en écoute directe, il me faut un peu de temps pour réaliser que ces hommes parlent en vieux Treskians, une langue inusitée depuis bien longtemps !

- Dernière chose. Il faut décider qui va jouer le rôle du méchant.
- On peut peut-être attendre que les autres soient là pour décider ?
- Oh … Ça ne changerait pas grand chose !
- Bon, d’accord, je veux bien.
- De toute façon, toi ou un autre, quelle différence ?
- Oui, pas faux. On pourrait refaire le coup de l’anagramme, comme l’autre fois. Ça a déjà marché !

Je ne comprenais rien à ce qu’ils racontaient. Mais ces dialogues étaient plein de sous-entendus, et il me semblait évident que quelque chose de grave était en jeu.

Un détail attire mon attention. Les guides. Leurs mains sont blanches. Ils portent des gants.

Le hibou revient vers moi et reprend sa place, sous forme de figurine, dans ma poche. Tanaël, qui avait compris la même chose que moi grâce au hibou, met rapidement Tamior et Bardaël au courant.

Nous n’avons pas besoin de discuter longtemps pour nous mettre d’accord. Ces pèlerins et ces prêtres blancs ne nous inspiraient vraiment rien de bon. La seule option qui nous venait en tête était assez radicale. Les herbes herbes que nous nous étions procurées à Kormis grâce à Elark avaient trouvé leur utilité.

Nous confions la bourse à Bardaël, qui se lance alors dans l’escalade de l’échafaudage. Il atteint le toit, et disparaît dans la cour intérieure. Là, redescendant avec précaution, il atteint la citerne, et y jette la bourse, en ayant pris la précaution de la percer avec une dague. Puis, il remonte sur le toit, atteint l’échafaudage et commence à redescendre vers nous.

Soudain, son pied dérape sur une planche, et il se rattrape de justesse, évitant de peu de basculer sur le toit eventré et de passer à travers.

L’incident n’avait pas fait de bruit particulier, et après quelques instants à retenir notre souffle, nous nous détendons alors que Bardaël nous rejoint.

Retour à l’auberge.

Le lendemain matin, la première pensée de Tamior est de vérifier si son sort de lumière est plus efficace que la veille. Il n’en est rien.

Nous quittons la chambre et descendons dans la salle commune. Une fébrilité particulière y règne. Bardaël s’adresse à une serveuse :

- Qu’est-ce qu’il se passe ?
- Il parait qu’il y a plein de pèlerins qui sont morts cette nuit, au moins une cinquantaine !
- Ah bon ??? Où ça ?
- Dans une maison, près du port. C’est horrible !

La nouvelle ne nous prenait pas complètement de cours, mais nous souhaitons en savoir un peu plus, aussi nous rendons nous sur place.

Des gardes bloquent l’accès à la maison qu’occupaient les pèlerins. En parlant un peu avec les badauds, on évoque une trentaine de pèlerins qui auraient été retrouvés morts. Nous n’apprenons rien de plus.

Même si ceux-ci avaient quitté notre monde, nous n’étions pas définitivement débarrassés de la nuisance "pèlerins", car il y en avait ailleurs. Et pour commencer, les trois groupes qui, partis de Kormis, devaient être en train de se diriger vers les cités ogarks en bateau.

Nous sommes convaincus que cette île avait quelque chose à voir avec ce qui arrivait à la magie. Nous décidons d’y retourner pour essayer de la détruire.

Depuis le centre de l’île, nous nous livrons à diverses expériences. Sorts de transmutation de pierre en terre, la masse de Tamior, une pioche amenée pour l’occasion, rien n’y fait. La roche dans laquelle est faite cette île semble absolument indestructible.

Nous décidons d’attendre la marée basse pour voir ce que les rivages de l’île pourraient révéler. Peut-être qu’une grotte ou un tunnel pourraient nous permettre d’accéder à quelque chose de particulier au cœur de cette île.

Et c’est bien ce que nous trouvons sur le flanc sud de l’île. Le niveau de l’eau baissant nous montre une anfractuosité de rocher dans laquelle nous nous glissons un par un. La faille s’élargit et devient une petite grotte, puis une galerie qui s’enfonce sous l’île.

Mais soudain, un obstacle invisible nous empêche de progresser. La galerie semble obstruée par un mur invisible. Pas un mur à proprement parler, car il n’a pas de "surface" à laquelle nous nous heurterions, mais plutôt un champ de force qui nous empêche de progresser. Nous essayons de le franchir de différentes façons, et nous en arrivons à la conclusion que ce champ de force agit sur notre esprit.

Danaël me propose alors de me faire avaler quelques herbes de sommeil et de tenter de me faire franchir cet obstacle sans que j’en soit conscient, et donc sans que mon esprit ne soit sujet à ce blocage. Ayant déjà eu l'occasion de tester ses herbes, j’accepte. Quelques herbes, une gorgée d’eau, et rapidement, je sens mes paupières s’alourdir.

Quand je reprends conscience, je suis à l’extérieur, sur la grève, assis contre les jambes de mon jumeau. Face à moi, Bardaël soutient Tamior qui n’a pas l’air conscient, et lui tapote vigoureusement les joues pour tenter de le réveiller.

- Que … que s’est-il passé ?
- Oh, pas grand chose, me répond Danaël.
- Tu peux préciser ?
- Nous avons essayé de te faire traverser ce mur invisible. Sans succès. Tamior a ensuite lancé un sort de lumière. On ne sait pas trop pourquoi. Peut-être pour voir le plus loin possible au-delà de cet obstacle, peut-être pour le tester tout simplement. Bref, le résultat est là. Ça lui a pété à la figure.
- Décidément, la magie n’est plus ce qu’elle était !

Nous laissons notre demi-frère magicien revenir à lui doucement, et remontons dans la barque qui nous avait amenés. Retour à l’auberge, un peu éprouvés.

Le soir, Tamior est sombre.

- Je ne comprends pas tout ce qui se passe, mais je crois qu’on est tous d’accord pour dire qu’il se passe quelque chose de grave ?
- C’est vraiment une question ?
- Non, tu as raison Tanaël. Il faut que nous allions parler de ça le plus vite possible à Sorkas. C’est là que nous pourrons trouver un recours et quelqu’un qui pourra comprendre tout cela.

Le lendemain matin, dès l’aube, nous étions en route. Direction Sorkas. A rythme soutenu, nous atteignons Arnklar, puis Misin, Atekar et Irmis.

A Irmis, il règne une grande agitation. Nous apprenons que des magiciens ont été tués à Sorkas, et en particulier à l’école de magie. Des grands maîtres figureraient au nombre des victimes. Beaucoup de rumeurs circulent. On parle même d’attaques de dragons ! Mais Sorkas n’est pas la seule touchée. Ici aussi, à Irmis, le magicien le plus puissant a été tué. On ne sait ni par qui, ni comment.

Nous nous rendons chez le second mage le plus reconnu de la ville, et le spectacle que nous découvrons est désolant. En lieu et place d’un grand magicien, nous ne voyons qu’un personnage échevelé, les yeux hagards, la bave aux lèvres, qui marmonne des choses incohérentes sans vraiment sembler voir se qui se passe autour de lui.

Dans l’après-midi, les nouvelles qui arrivent de Sorkas sont à la fois rassurantes, le calme est en train de revenir, et inquiétantes compte-tenu de ce que nous savons : les prêtres d’Etiak sont en train de prendre le pouvoir.

Compte-tenu de ces dernières informations, nous rendre à Sorkas pour faire part aux magiciens des activités de ces pèlerins d’Etiak ne semblait plus l’option la plus raisonnable. Nous décidons de rentrer à Treskians, chez nous.

D’Irmis à Treskians, nous rencontrons beaucoup de monde sur les routes. Le chaos semble se propager sur le continent. Lorsque nous approchons de notre but, nous découvrons que des constructions récentes, et faites à la hâte, entourent la ville. Nous entrons dans la cité et découvrons que des occupants illégitimes se sont installés chez nous !

L’échange est bref, mais ferme, et les indélicats quittent rapidement les lieux.

Ici comme ailleurs, les magiciens sont dans une situation difficile : beaucoup s’étaient rendus à l’école de magie à Sorkas, et beaucoup n’en sont pas revenus. L’organisation et la sécurité de la ville en pâtissent. Et les prêtres d’Etiak sont en train de prendre les places laissées vacantes.

Nous nous rendons chez Elebor, un ami de Tamior, magicien lui aussi.

- Ah ! Mes amis, quelle joie de vous revoir. Entrez donc.
- Salut à toi, Elebor. Je suis bien content moi aussi de te voir en bonne santé, lui répond Tamior. A ce que nous avons compris, ça devient dangereux d’être magicien, en ce moment.
- Ne m’en parle pas. C’est une hécatombe. J’apprends tous les jours de mauvaises nouvelles. J’ai d’ailleurs un rendez-vous au palais tout à l’heure à ce sujet.
- Tu devrais faire attention.
- Pourquoi ça ?
- C’est assez compliqué. Je ne sais même pas par quel bout prendre cette histoire.
- Par le début, peut-être. Allons nous asseoir, vous avez l’air épuisés.

Elebor nous installe dans son salon, et Tamior commence à lui raconter tout ce que nous venions de vivre depuis notre départ de Treskians, il y a plusieurs semaines.

Une heure plus tard, l’angoisse se lisait sur le visage d’Elebor.

- C’est clair, je ne vais sûrement pas me jeter dans ce nid de prêtres d’Etiak qu’est devenu le palais !
- Qu’est-ce que tu vas faire ?
- Je ne sais pas. Si ce que vous me dites est vrai -et je vous crois d’autant plus facilement que je vous connais et que j’ai vu ce qui s’est passé dernièrement- je ne peux pas rester à Treskians. Il va falloir que je quitte la ville.
- Pour aller où ?
- J’ai peur qu’à un moment ou un autre, toutes les villes soient aussi dangereuses pour moi. Je vais voyager. Bouger est plus sûr. Ça me permettra de continuer à apprendre. Oui, je vais prendre la route.

De notre côté, la seule option que nous voyions était de réussir à faire savoir tout cela aux elfes et aux nains, un peu en retrait de la vie, et de la vue, des hommes.

Dès l’après-midi, nous quittions la ville, en direction de la forêt d’Istras, accompagnés d’Elebor, qui nous laissera rapidement pour suivre son chemin.

A Istras, nous racontons notre histoire au Seigneur des Elfes. Toute notre histoire, y compris la façon dont nous avions pris soin des prêtres dans la vieille bâtisse des cités ogarks. Il reçoit ces informations d’abord avec beaucoup de sérieux, puis avec beaucoup d’inquiétude.

Il fallait faire savoir cela aux nains, et aussi aux savants elfes qui pourraient étudier ce qui arrivait à la magie. Mais il fallait aussi et surtout rester très discret, afin qu’on ne puisse pas reprocher aux elfes de fomenter un complot.

Que veulent vraiment les prêtres d’Etiak ? Que va-t’il se passer dans les mois qui viennent ? Que nous réserve le futur ? Nous n’en savons rien à ce moment, mais nous sentons bien qu’un âge obscure se prépare.


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